Abigail Holland

-I-
Pour une fois, elle n'avait pas attendue à ce quelqu'un d'autre décide pour elle, même si cette situation lui paraissait assez compliquée.
Compliquée dans le sens où elle aurait sans doute préférée un autre départ que celui auquel elle s'était préparée. Tout semblait assez clair, pourtant rien ne l'était vraiment. Elle fixait la porte de sa chambre, écoutant le faible écho de la télévision qui résonnait d'en bas.
Plus tôt dans la journée, elle avait pensée à laisser quelque chose; une lettre, un mot, pour au moins expliquer sa décision, mais comprendraient-ils pour autant ? Elle en doutait beaucoup, bien qu'ils soient des gens bien. Oui, ils auraient sans doute fait de formidable parent, mais rien ne valait vraiment sa véritable famille, non ? Ainsi, elle progressa dans sa décision, se retournant vers sa fenêtre pour y jeter son sac et descendre à son tour par le treillage. Une décision qu'elle aurait sans aucun doute préférée prendre avec d'autre famille, le choix aurait été moins compliqué et plus justifié.

Son frère attendait de l'autre côté de la rue, dans une voiture à phare éteint. Lui aussi avait appréhendé ce moment, craignant peut-être de devoir repartir d'ici sans sa sœur. Il n'aurait sans doute pas comprit ce choix, peut-être même aurait-il ressentit de la déception, une douleur à la poitrine, mais rien de tout ça ne lui arriva, puisque Abigail apparu derrière le carreau de la portière. Elle monta sans un mot, gardant son sac, qui contenait le strict nécessaire, sur ses genoux; alors, tout  allait bien dans le meilleur des mondes. La voiture démarra et quitta les lieux dans la minute.

-II-
Abigail est née dans une petite ville du Vermont, à Cold River. Elle est la dernière de la famille Holland. Sa mère, Betany Holland, était institutrice, tandis que son père, Norman Holland, était garagiste. Contrairement à son frère, Delvin, Abigail aurait aimé retourner là-bas, seulement pour revoir certains endroits, comme leur maison et peut-être retrouver quelques visages familiers d'anciens voisins, ou bien d'anciennes amis. Elle avait encore en mémoire certaines têtes, quelques sons de voix et même certaines odeurs qui nourrissait un peu cette nostalgie qui avait un effet double tranchant. Autant cela pouvait la rendre heureuse que triste.

Plus il y avait de distance avec le passé et plus Abigail ne pouvait s'empêcher d'imaginer ce qui pouvait se tramer derrière eux, bien que Delvin paraissait tout à fait sûr de lui. N'avait-il pas un moment hésité ? N'avait-il pas en ce moment peur que tout s'arrête et que les choses empires ? Elle le regardait chantonner la musique de la radio, ne pouvant s'empêcher de sourire devant son "crétin" de frère qu'elle n'aurait jamais pu abandonner après ses cinq dernières années.

Delvin Holland n'avait rien d'un type méchant, seulement d'un gars un peu paumé dans la vie qui avait essayé de reconstruire quelque chose avec ce qui restait de sa famille. Il risquait sans doute énormément en ayant convaincu sa sœur de le suivre, mais il s'en foutait, car rien n'était plus important que d'être à nouveau ensemble, comme avant, oubliant presque les autres qui allaient sans doute essayer de les séparer encore une fois, mais s'ils y parvenaient, ce serait pour de bon.

-III-  
Le mensonge. C'est ce qu'ils pensaient nécessaire pour se protéger. Mentir sur leur vie, sur leur nom et veiller à ce que rien ne leur échappe et ainsi ils pourraient continuer à vivre sans problème dans un nouvel État, une nouvelle ville où personne ne pourrait se douter de qui ils étaient et pourquoi ils y étaient. Abigail était prête à mentir, au moins pour protéger son frère, puis pour se donner – à eux deux – l'opportunité d'une vie souhaitée. Delvin y avait déjà songé, se procurant par une connaissance de faux papiers où désormais ils ne répondraient plus au nom de Abigail et Delvin Holland, mais Alexandra et Shaun Sullivan. Lorsqu'il lui tendit sa nouvelle identité, Abigail réalisa que son frère n'était plus vraiment celui qu'elle avait connu; il avait grandit, vieillit, devenant sans doute bien plus prévoyant, responsable et prêt à n'importe quoi pour parvenir à leur projet. Rassurant ? Peut-être, mais restait toujours la peur, l'appréhension que toutes ces précautions ne puissent suffire sur la durée. Elle n'avait jamais vu autant d'assurance dans le regard de son frère, bien qu'il arrivait encore de faire le pitre et de prendre la situation à la légère durant le trajet. Il avait toujours aimé rire de leur malheurs, c'est ce qui lui rendait les choses plus facile à digérer.

-IV-
Les malheurs, c'est ce qui forge une personne. Enfin, c'est ce que pensait Delvin. Abigail partageait cette façon de penser, bien qu'elle n'avait pas l'impression d'être aussi forgé que son frère pour affronter les situations à venir. Peut-être parce qu'elle avait eu un peu plus de chance que son frère. Déjà enfant, Abigael reconnaissait avoir toujours été protégée contre les aléas du passé, soit par sa mère ou bien par son frère lorsque sa mère n'était plus en état de cacher quoi que ce soit. Oui, Delvin avait toujours été là pour elle, si bien qu'il acceptait de prendre les vérités en plein face et peut-être comprendre plus rapidement ce qui se passait à l'époque.
Le temps passe et puis les choses changent. Des gens décident et jugent pour les autres et ça ne dérange personne. Il s'agissait bien de la première fois où Delvin n'avait pas su protéger sa sœur contre la mocheté de la vie ; une mère internée en urgence dans un centre psychiatrique et les services sociaux venus pour régulariser la situation des deux enfants.
Abigael avait 10 ans à cette époque, Delvin en avait 16. Abigael se souvenait encore de cette séparation douloureuse, entendant encore les cris de son frère qui jurait à travers ciel qu'il ne l'abandonnerait pas. Des souvenirs qui ont su ressurgir plus d'une fois dans les pensées d'Abigael durant les cinq années suivantes. Il lui arriva parfois de se dire que c'était aujourd'hui, le jour des grandes retrouvailles, pour finalement se contenter d'illusion.
Elle n'a jamais su ce que son frère avait fait durant ces cinq ans. Elle ne lui avait pas encore demandé, mais n'osait pas. Tout ce qu'elle savait c'est qu'elle avait toujours eu cette impression qu'on ne voulait pas de leur retrouvailles, pour une raison ou pour une autre. Jusqu'au jour où des gens ont voulu faire l'impasse. Peut-être qu'ils le regrettaient aujourd'hui.

-V-
Il lui demanda de fermer les yeux à quelques kilomètres de la ville promise.  Une ville que Delvin avait brièvement décrite comme tranquille, suffisamment loin des « autres » pour vivre en paix. Là-bas, personne ne pourrait les empêcher de construire leur famille, puisque personne ne les connaissait. Abigail avait l'impression de miser sur une sorte de paradis, tellement que son frère ne cessait de faire l'éloge de cet endroit encore inconnu.
Lorsque la voiture sembla s'immobiliser et que le moteur cessa de faire du bruit, Abigail était impatiente de découvrir son nouveau chez-eux. Delvin l'accompagna en dehors du véhicule et lui demanda encore de garder les yeux clos, quelques minutes à peine.
Un rapide décompte et Abigail pu enfin découvrir la surprise de son frère ; une maison en bordure d'un bois. Certes, ce n'était pas les belles maisons de quartier résidentiel, ou encore de campagne qu'elle avait pu connaître, mais ce n'était pas à lui déplaire. Elle resta sans voix, ses grand yeux observant la maison et l'environnement. L'endroit était calme, assez à l'écart, mais il y avait du charme ici. Elle resta sans voix, ce demandant un bref instant comment son frère avait pu dégoter un tel endroit à lui tout seul, mais il serait inutile de tout gâcher avec autant de questions. Elle les refoula, partageant l'enthousiasme de son frère. Elle demanda seulement le nom de cet endroit ; Game City.

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