Elle aime être devant l'objectif. Qu'on lui capture un bout d'âme, une émotion, un instant. Qu'elle puisse se regarder sur un morceau de pellicule, que la preuve devienne enfin tangible. Rachel est là, quelque part, elle existe. Et quand elle se donne la peine de sourire, de sourire sincèrement, elle crève l'écran. Mais les sourires sont devenus de façade, un masque étriqué dont elle n'arrive plus à se défaire, dans lequel elle noie les doutes et les peurs. Qui cache les pleurs et les failles. Car elle est une icône de la jeunesse, la Amber. Elle a tout pour elle, tu comprends. Une famille parfaite, des notes parfaites, les filles l'admirent plus qu'elles ne la jalousent et les hommes animent trop souvent leur regard d'une étincelle obscène quand ils posent les yeux sur elle. Elle ne veut plus rien. Surtout pas de ces amours tragiques où elle campe toujours une Eurydice maudite, tragédienne ayant le théâtre dans les veines bleutées, il faut toujours qu'elle se donne en spectacle. On tronque l’absurdité du quotidien contre un mensonge moins terne et un masque souriant. On fait semblant, d'avoir oublié la trahison, la ruine, la maladie...
Sa détresse à un nom et elle porte celui de son père : James Amber.Figure paternelle sacrifiée sur l’autel de l’adultère. La chute est à la hauteur du piédestal sur lequel Rachel l’avait perché. Il était son héros. Nul besoin de cape pour que ce procureur de district fasse appliquer la justice. Elle a toujours cru qu’il se trouvait du côté des justes quand il a préféré s’aligner avec les pourris qui lui graissaient allégrement la patte. Il a sali jusqu’à ses moindres souvenirs d’enfance en lui offrant une image qui ne reflétait en rien la réalité. Et elle se fout que ce soit pour la préserver ou pour avoir les moyens de lui payer et d’entretenir Cookie, son poney. La gamine se serait contentée d’une vie simple mais sincère plutôt que ce ramassis d’ineptie. A cause de James, elle ne sait plus qui elle est mais elle sait au moins ce qu’elle ne veut plus être : Cette fille lisse et parfaite qui cadre tellement bien quand le décor est cette famille hors de tout soupçon. Rachel est la déflagration survenant de l’éclatement de la bulle de mensonges. Et elle est prête à tout emporter sur son passage.
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Rachel abandonne, reprend ce qu'elle donne, ne laisse qu'une terre brûlée et cendreuse derrière son passage dans les cœurs qu'elle enflamme. Elle fuit quand elle obtient, quand elle reçoit ce qu'elle ne sera jamais capable d'offrir. Car elle n'est pas aussi sensible qu'elle voudrait le faire croire, la douce ingénue. Incapable de s'attacher, il est volage, l'oiseau de paradis. Et pourtant, qu'il est difficile à quitter son nid cotonneux, promesses de délices et douceurs. Elle subjugue la Rachel. Par son physique de créature d'un autre monde. Par la blondeur enfantine de sa longue chevelure, par la finesse de ses traits, par son port de tête altier, un ange parmi les bêtes. On lui prêterait bien l'innocence, à l'agneau. On voudrait la protéger, la fragile et gracile nymphe. Et pourtant sa tête mériterait d'être couronnée d'épines plutôt que d'auréole.
Sa tentation a un nom et porte celui de sa meilleure amie : Chloe Price.Car elle n’a rien de l’innocence, la vile manipulatrice et les choix de son entourage ne sont que trop rarement aléatoires. Rachel a repéré la punk solitaire à son arrivée. Cette fille qui fuyait les autres l’a immédiatement intriguée. Elle s’est fait discrète pour mieux l’épier et réussir à percer quelques uns de ses secrets. Obligée que trop souvent de ruser car Blackwell n’était pas le lieu le plus fréquenté par Chloe. Et elle a reconnu en elle, cette blessure familiale impériale, ce foutu besoin d’avoir quelqu’un à ses côtés pour être épaulé, ce somptueux chant autodestructeur qui enivre plus qu’une sirène mythique. Chloe était le partenaire de voyage parfait pour sa descente aux enfers. Ce fut pourtant une autre promesse céleste qui fut scellée sous la beauté de la voûte étoilée : elles fuiraient ensemble pour voir si le monde comporte plus de couleurs ailleurs.
Elles mangent les miles à défaut d'avoir de l'argent pour se payer un vrai repas. L'objectif est simple : mettre le plus de distance entre elles et les problèmes. Ceux-ci ne sont pas restés en Oregon, les filles ont un fâcheux talent pour en semer de nouveaux sur leur passage. Le rêve prend fin mais cette aventure sous fond de road trip sera de loin l'un des meilleurs moments de sa vie. L'un des plus sincères aussi. Et pour ça et parce que Chloe n'est comme aucune autre, elle ressentira toujours pour elle cette tendresse indéfectible à défaut d'un amour attendu.
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Elle cache bien son jeu, la perfide adolescente, au point qu'on ne soupçonne pas les digressions dans lesquelles elle se noie. Rachel est de ces êtres chaleureux et doux dont on recherche le contact au risque de s'y brûler. Elle est une oreille attentive, l'amie de confiance qui gardera vos petits secrets bien à l'abri dans son encéphale, sans jamais révéler l'un des siens. Elle ne se livre pas Rachel, ou seulement par miettes, a de trop rares personnes. Elle préfère la dissimulation à la vérité et se nimber de mystère pour créer le mythe. Elle est passé reine dans le jeu des apparences. Elle doit revendiquer son existence. Exorciser son besoin d'appartenance.
Rachel, le modèle est ainsi, miroir des désirs. Un caméléon qui prend la teinte de son environnement pour s'y fondre, au risque de disparaître. Car à force de combler ce que les autres cherchent dans son regard, elle ne sait plus qui elle est. Ce qu'elle veut vraiment. Il n'y a que cet outrageux besoin de plaire, qui surplombe tout.
Son reflet a un nom et porte celui de son confident : Nathan Prescott.Aidés par leurs affinités, les deux se sont rapidement liés d'amitié mais les choses se complexifièrent suffisamment pour ne pas faire d'eux de simples partenaires de jeu, mais jamais des amants. Elle a vu en lui cette fragilité qu'elle connaissait et qui lui a fait abandonner son masque en sa présence.
Solde de l'insatisfaction paternelle, on trace leur route et on les enferme dans des moules trop petit pour que leur majestuosité puisse y être contenue. Alors on finit par les briser pour qu'ils s'y tiennent tranquilles.
Ils étaient prédestinés à s'aider à remonter la pente. En de rares occasions, leur belle complicité était d'une évidence que même la cécité aurait été incapable d'en rester aveugle. Un rapprochement doublement fatal.
Rachel a préféré s'en éloigner pour éviter de l'emporter dans sa chute. Il l'a traînée dans le plus profond des abysses en provoquant son overdose.
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Elle attise la curiosité, on voudrait la disséquer pour savoir ce que cache son malicieux regard. Connaître quelle part obscure se love dans ses entrailles. Il faut être fin observateur pour voir au delà de son jeu, la faire sortir de son personnage. Surtout quand celui-ci devient plus envahissant qu'une seconde peau. Alors elle continue de suivre son script, de trouver suffisamment de ressources en elle pour dégager cette assurance folle et cette détermination sans faille. Pour continuer à se rassasier de petits plaisirs simples et en tirer suffisamment de bonheur pour en danser et chanter. La drogue aide souvent à parfaire le Persona, le masque qui cache tout. Elle qui clame son indépendance et est accro à sa liberté a fini par tomber dans les serres tyranniques des substances illicites. Elle en nourrit son envie de perfection, cette indéfectible besoin de contrôle. Un rail de coke vaut bien un bon repas. Elle, qui se sent trahie dès qu'elle passe le cap des cinquante kilos. Il faut rester légère pour s'élever. Et elle a trouvé la personne parfaite pour entretenir ses vices...
Sa dépendance a un nom et porte celui de son marchand de rêves : Frank Bowers. Le dealer le plus populairement craint d'Arcadia Bay n'a pas résisté longtemps face à la délicatesse de sa lionne. Si beaucoup voit en Frank une brute qui ne réfléchit qu'avec les poings. Elle a vu une personne d'une tendresse inégalée, même si celle-ci était presque exclusivement réservée à son chien, seul être sur lequel il pouvait compter. Sa solitude l'a frappée et dès lors, ils ont été seuls, ensemble.
Quotidien fait de poudre et de rêves psychédélique, d'alcool fort et de déchéance. Rachel n'est même plus certaine de pouvoir fait le distinguo entre le rêve et la réalité. Tout se faisait trop vite, trop régulièrement, trop fort. Même les disputes. Et les coups, quand elle a refusé de lui donner satisfaction. ça a entériné leur relation, ils ne se sont plus approchés après leur rupture, la dernière fois qu'il a croisé Rachel, ce fut pour son enterrement.
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Elle joue de sa joliesse, la séductrice. Elle aime ressentir ce pouvoir, cette domination sur l'autre, quand il est prêt à se damner pour l'entendre rire, pour devenir le centre de son attention. Elle se complait dans des relations factices, aussi fausses qu'elle, fardée de ses artifices. Jusqu'à un certain point. Alors elle change, de partenaire ou de ville ou de planète, fuit le fruit de ses récoltes, les malheurs qu'elle distille. Elle ne supporte plus de se sentir enfermée, elle veut être partout, aimée de tous. Changer de peau contre une autre qui lui conviendrait mieux. Ses ambitions de gloire sont bien ancrées et elle est suffisamment studieuse pour obtenir ce qu'elle désire. Elle est impliquée, mais elle vit avec effroi le moindre échec qui bouleverse son monde, fracasse les fondations.
Son salut a un nom et porte celui de son assassin : Mark Jefferson.Il lui dit qu'elle ne prend jamais la bonne pose, que son corps n'est pas dans le bon axe, que son regard est trop vague. Mark Jefferson est photographe professionnelle, avant d'être son professeur. Il l'appelle amatrice. Elle se vexe jusqu'à ce qu'il lui explique qu'il va faire d'elle le prochain modèle en vogue. Qu'il lui apprendra toutes les ficelles, qu'à la fin de l'année scolaire, ils partiront ensemble pour L.A. Elle en a toujours rêvé. Rachel la candide lui fait pleinement confiance et c'est cette innocence qu'il va tenter d'immortaliser sur ses clichés avant de la briser. Elle se donne pleinement à lui, sans retenue et le monde entier disparait quand elle est à ses côtés. Il est aussi unanimement aimé qu'elle et elle ne se doute que trop tard que comme elle, il a une part sombre. Bien plus obscure que tout ce qu'elle aurait pu anticiper. Elle est enivrée par le manque d'oxygène puisqu'il lui remplit la tête avec des étoiles. Puis avec du coton, quand il contraint Nathan à la droguer pour tirer le meilleur parti d'elle sur ses photos. Puis avec du vide, quand la surdose empoisonne le modèle et qu'il refuse de la sauver pour éviter la dénonciation.
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La raison se disloque sous l’impulsion de l’incompréhension. La belle s’est endormie à l’orée du bois, dans un endroit dont seuls quelques initiés connaissent les secrets. Celle qui était vouée à un brillant avenir n’a trouvé dans cette salle sombre qu’un funeste destin et la mort plus que l’amour comme présent. Elle s’est éveillée un an plus tard, dans cette ville totalement inconnue où elle n’a trouvé aucun visage familier. Alors la nymphe s’est accrochée au premier étranger capable de l’entretenir, pour mieux rebondir. Game City lui a permis de devenir adulte sans oublier ses illusions enfantines. Elle a couru après ses rêves de podium mais sa nouvelle incarnation a gardé les défauts de l’ancienne, une joliesse incontestable mais une petitesse inexorable qui l’empêche de devenir un mannequin remarquable. Ne reste que la divine comédie et ses talents pour jouer un rôle. Rachel tente de se tailler une part de succès dans l’industrie prisée du cinéma et dans le milieu élitiste du théâtre, nouant des relations étroites avec qui est susceptible de servir ses ambitions. La curieuse n’a pour le moment jamais cherché à désépaissir le mystère opaque qui plane sur l’année dont elle n’a aucun souvenir et de son ancrage étrange dans la ville du jeu, qu’elle n’a jamais désirée. Sous le crâne fourmille pourtant des centaines de questions mais l’ambitieuse préfère investir son temps dans la réussite de ses projets.