Rien ne se passe jamais comme prévu + Sherry

La nuit avait été courte. Je m'étais couchée tard, trop de choses à faire à la dernière minute parce que j'étais comme ça. Tout avait été prévu des jours plus tôt, mais je n'avais rien fait en avance. J'attrapais mon téléphone et je répondais au sms de Sherry. J'espérais ne pas la réveiller, je lui avais répondu presque trois heures après. Tout était parfait pour moi. Depuis des mois, je n'avais pas vraiment vu Sherry. La vie avait été assez compliquée et j'avais eu du mal à trouver un nouvel équilibre. Je vivais seule désormais, c'était mieux ainsi, je pense. J'avais besoin d'apprendre à vivre ici après tout ce temps, même si je n'avais jamais abandonné l'idée de comprendre pourquoi nous avions été envoyés ici. Pour ça, je ne devais plus être aussi proche d'Aiden, le voir chaque jour, être souvent avec lui et le voir si absent en même temps, je ne le supportais plus. C'était trop dur à vivre.

Je vérifiais une dernière fois mon sac, tout était prêt. J'avais de quoi manger, de quoi boire, de quoi me couvrir en cas de pluie... Bref, tout ce que j'avais jugé utile d'emporter. Le jour était à peine levé quand j'enfilais une bonne veste pour me protéger et mon sac. Je vérifiais une dernière fois que tout était bien fermé et éteint puis je fermais la porte et me dirigeais vers le lieu de rendez-vous. C'est moi qui l'avais contacté il y a quelques jours. Besoin de changement, de faire quelque chose de différent, sans pour autant me lancer dans une grande aventure, j'avais besoin de casser ma nouvelle routine qui était d'aller au boulot, de m'occuper des courses et de la maison (autant que j'étais capable de le faire), passer mes soirées devant la télé et travailler sur moi-même pour m'adapter ici. Alors nous nous étions mise d'accord sur une randonnée en forêt. Ce n'était rien d'extraordinaire, j'en avais pleinement conscience, mais ça me satisfaisait. Je n'avais pas fait de telle balade depuis tellement longtemps et le grand air ne pouvait me faire que du bien. Ça, j'en étais certaine. Puis je n'avais jamais été plus loin qu'aux abords de la forêt, c'était l'occasion de voir ce qu'elle avait de si effrayant. Sans oublier que revoir Sherry ne pouvait me faire que du bien, elle était généralement de bonne compagnie. Elle était ma première rencontre ici et désormais une des seules amies sur qui je comptais vraiment. Malgré mes semaines de silence, elle ne semblait pas m'en vouloir et me comprendre.

Je lui avais donnée rendez-vous près de l'entrée de la forêt. J'arrivais une minute avant elle, le temps pour moi de revérifier mentalement le contenu de mon sac. A son arrivée, nous n'avions pas perdu de temps. Après nous être saluées, nous étions directement parties vers la forêt. J'avais hâte de faire cette randonnée, hâte de passer la journée ici, de découvrir, hâte de discuter avec Sherry. Un peu comme une enfant qui attendait quelque chose et ça, ça faisait longtemps que ça n'arrivait plus. On se questionnait. Un peu toutes les question de politesse, celles que l'on pose à tout le monde et dont on attend un peu tous les mêmes questions : passant du ça va au quoi de neuf, sans vraiment entrer dans le détail de notre vie privée ou notre boulot. Il fallait bien garder de quoi discuter jusqu'au soir. Il nous arrivait de rester silencieuse de longues minutes, sans trouver ça gênant. Concentrées sur là où nous marchions et observant les environs. Qu'il y ait des sentiers ou non, nous n'avions jamais eu l'envie de les emprunter. On voulait se balader où bon nous semblait.

Je ne comprenais pas la réputation de cette forêt. Beaucoup en parlaient comme d'un endroit peu fréquentable ou il n'était pas prudent de s'aventurer. C'était une blague ? Les autres racontaient ça pour y être tranquille ? Il n'y avait rien de particulier ici. C'était une belle forêt, ça oui, mais rien d'effrayant. Vraiment. Pas de quoi lui donner la réputation qu'elle a en tout cas. Enfin, je le pensais, j'en étais persuadée. « Sérieusement, j'comprends pas... Pourquoi tout le monde fait toute une histoire de cette forêt ? Elle n'a pas l'air effrayante ou de dangereuse... ­» Ils avaient peur de tomber sur quoi ? Un fantôme ? Un mort-vivant qui allait leur courir après ? A cette idée, je souriais, pensant aux histoires que me racontaient Sherry. Si c'était le cas, elle serait dans son élément en tout cas, avec ses bonnes vieilles habitudes. «­ Au moins, on est tranq... » Je me stoppais net. J'avais entendu un bruit, ça j'en étais certaine. Ou peut-être était-ce parce que j'avais parlé du côté effrayant de la forêt ? Alors même si elle ne me faisait pas peur, rien que le souvenir des rumeurs sur cette dernière, avait entrainé mon imagination. Brusquement, je m'étais retournée, observant ce qui se trouvait au milieu des arbres, des herbes. « T'as entendu ça ? » Un nouveau bruit, comme quelque chose qui avançait vers nous. « Sérieusement, je rêve ou... » Deuxième phrase interrompue, cette fois-ci, il y avait bien quelque chose dans les herbes, j'en étais certaine, je l'avais vu. « Merde Sherry, j'te jure, il y a quelque chose. » Et comment on réagit dans ces cas-là ? On n'attend pas de savoir ce que c'est. On attrape la main de Sherry et on l'entraine dans sa course. C'était peut-être complétement con, il n'y avait peut-être rien d'autre que mon imagination, mais étrangement cette forêt me faisait peur d'un coup. Je n'avais plus couru depuis longtemps, ça se sentait, j'avais l'impression qu'encore quelques mètres et je tombais. Je n'entendais plus rien derrière nous, soit il n'y avait jamais rien eu, soit le truc était parti, mais je n'avais pas tellement envie de m'arrêter pour vérifier, préférant m'enfoncer encore plus dans cette forêt qui tout à coup paraissait mériter sa réputation.

Un message venant de Jodie m'était parvenu. Elle voulait prendre un peu de mes nouvelles et surtout me proposer quelque chose, une petite sortie entre amies. Une envie soudaine d'aller en randonnée dans la forêt, celui de cette ville, celle qui avait pour réputation d'être effrayante. Étrangement, je n'avais pas hésité à répondre avec une réponse positive. Après tout, nous ne nous étions pas vues depuis longtemps avec Jodie. Nous n'avions pas eu l'occasion de nous parler, de nous raconter ce qui avait bien pu se passer dans nos vies depuis la dernière fois que nous nous étions parlé. Je devais bien dire que bien des choses avaient changé dans ma vie depuis.

Les jours avaient passé, nous étions la veille de notre petite sortie en forêt. Je me réjouissais de pouvoir faire un peu de marche et je me réjouissais de pouvoir papoter d'un peu de tout et de rien. Savoir comment elle allait, où elle en était avec son "copain" si je pouvais l'appeler ainsi, il devait s'appeler Ryan… je crois et comment elle s'entendait avec son frère, Aiden. Je voulais savoir si elle avait toujours son job, si elle n'en avait pas changé, si elle s'y plaisait ou pas. Enfin, je voulais juste savoir s'il y avait des choses nouvelles dans sa vie ou non. Je savais très bien que c'était la même chose pour elle, elle allait très certainement me poser des questions sur ma vie, sur des tas de choses, tout ce qu'elle n'avait pas pu savoir à cause de notre manque de contact depuis plusieurs mois. Enfin, tout en écoutant un peu de musique, j'avais rangé mon appartement en entier, je ne tenais pas à partir avec un appartement sale. Une fois le ménage terminé, c'est-à-dire en début de soirée, j'avais préparé mes affaires, pour éviter de devoir le faire demain matin, à la dernière minute, en vitesse et pour ne pas risquer d'oublier des tas de choses essentielles, comme mon eau… Bref, je déposais tout sur mon lit pour être bien certaine de ne rien oublier. D'un côté, les vêtements, un gilet en cas de baisse de température… D'un autre côté, la grande bouteille d'eau, marcher pouvait donner très soif, le repas pour le midi et quelque chose à grignoter pour le soir, car je ne savais pas vraiment combien de temps allait nous prendre cette balade. Je savais que nous allions rester tard, mais je ne savais pas si nous allions dépasser l'heure du dîner, ainsi que quelques biscuits, je risquais d'avoir faim entre-temps. Cela pouvait peut-être paraître enfantin, car d'après beaucoup de monde, disait qu'un adulte ne devait pas manger entre les repas et encore moins manger de biscuits ou de bonbons, mais je n'allais pas me laisser mourir de faim, pour plaire aux gens, de toute façon, je ne pensais pas que Jodie allait porter un jugement sur quelque chose de ce genre, sur une chose qui avait si peu d'importance. J'avais vérifié deux ou trois fois mon sac et mes vêtements avant d'aller me coucher. Je ne voulais pas veiller tard, car je voulais être en forme le lendemain. Je voulais être capable de marcher des heures sans vraiment me fatiguer et je voulais encore pouvoir tenir sur mes deux jambes en fin de journée.

Une légère mélodie venait de retentir, c'était mon réveil. Je n'avais pas envie de me lever, mais je n'avais pas vraiment le choix, en plus, je venais de passer une très bonne nuit, j'avais bien dormi cette nuit. En voulant couper ma sonnerie, j'avais remarqué un message, venant de Jodie, elle m'avait répondu très tard la veille, mais j'avais coupé la sonnerie des appels et sms pour ne pas être réveillée pendant la nuit et comme j'étais déjà couchée, m'ayant interdit de regarder l'heure, je ne l'avais pas vu. Au début, j'avais cru à une annulation de sa part, mais ce n'était rien, elle ne faisait que répondre au message que je lui avais laissé en fin d'après-midi. Je m'étais laissée un long moment pour pouvoir me préparer sans devoir me précipiter. Je m'étais douchée maquillée, j'avais de nouveau vérifié mon sac, fermé les lumières, toutes les portes, toutes les fenêtres… Puis après avoir fermé la porte d'entrée, j'avais sauté dans ma voiture. Le soleil était levé depuis peu de temps et il y avait très peu de monde sur la route, pour une conduite beaucoup plus agréable. Je m'étais garée à l'entrée de la forêt, c'était le lieu de rendez-vous. J'apercevais Jodie qui était déjà là et qui m'attendait. Une fois toutes les deux, nous avions commencé à marcher tout en parlant, sans vraiment s'intéresser à l'autre, comme-ci nous nous étions déjà vues la veille.

« Je ne sais pas non plus. C'est vrai qu'elle n'a rien de plus que les autres forêts. Il y a des tas d'arbres qui se ressemblent tous, pourtant, je suis certaine qu'ils sont tous bien différents. C'est une forêt quoi. Très franchement, je ne sais pas, je pense que j'aime plutôt bien cet endroit moi. » Il était vrai que nous pouvions nous sentir très petits à côté de ces arbres très imposant. Les gens ne se sentaient certainement pas en sécurité ici. En plus, ce n'était pas un lieu très fréquenté. Je pouvais comprendre, surtout avec la réputation que les gens lui avaient donnée, mais c'était une chose qui n'allait jamais se terminer. En effet, une personne allait raconter quelque chose sur cet endroit ce qui allait amener une autre personne à ajouter quelque chose de nouveau sur ce même endroit et ça n'en finit pas, les gens sont de plus en plus effraye pour des choses qui en réalité s'avèrent être totalement fausses et sorties tout droit de l'imagination de plusieurs dizaines de personnes, déformant les phrases des autres, ayant racontés des histoires avant eux. Je me sentais plutôt bien d'en cette forêt en réalité. Nous pouvions y discuter tranquillement, faire un peu de marche en plein air, dans un endroit très calme et très peu visité. Je devais bien avouer, que je n'avais jamais vraiment osé venir ici. Je ne savais pas si ce que les gens disaient était vrai, mais quand Jodie m'avait proposé de venir là, je n'avais pas longtemps hésité. L'idée d'aller dans un endroit qui était effrayant pour de nombreuses personnes m'intéressait. Je m'étais dit que cette sortie allait me faire penser à mon passé, à mon monde. Puis une fois la marche commencée ici, je trouvais que les histoires des gens n'étaient pas fondées. Je trouvais cela complètement ridicule. Il n'y avait rien d'effrayant ici et Jodie pensait comme moi, elle me l'avait dit, mais ça pouvait se lire sur son visage, elle paraissait plutôt sereine.

Jodie s'était arrêtée en plein milieu d'une phase, pour je ne sais quelle raison. Je l'avais vu se retourner, pour jeter un coup d'œil derrière elle. Instinctivement, j'avais fait de même, j'avais dirigé mon regard au même endroit où le sien s'était posé. Juste pour savoir ce qui avait bien pu attirer son attention pour qu'elle s'arrête si brusquement de parler, en plein milieu d'un mot. En tout cas, moi, je n'avais rien vu. « Non, je n'ai rien entendu du tout Jodie. » Ni même entendu. C'était peut-être le vent où elle avait peut-être imaginé ce bruit. Enfin, juste après cela, elle avait recommencé une nouvelle phrase. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle s'arrête à nouveau en plein milieu de celle-ci. Elle était vraiment persuadée d'avoir entendu et peut-être même vu quelque chose. Je regardais très rapidement autour de nous, mais rien à faire, je ne voyais rien. Pour moi, nous étions seules, il n'y avait personne avec nous, sauf peut-être ces insectes qui grouillaient sur la terre, mais ce n'était pas eux qui avaient pu faire un bruit assez fort pour que l'oreille de Jodie puisse le percevoir. « Jodie, tu délires là. Il n'y a aucun... » Je n'avais même pas eu le temps de terminer ma phrase que Jodie s'était déjà emparée de ma main pour se mettre à courir à toute vitesse. Je ne savais pas vraiment ce qui l'avait effrayé, je n'avais rien vu, rien entendu. Parler des peurs des autres sur cette forêt lui avait peut-être fait peur et à cause de ça, elle s'était peut-être imaginé des choses. Sauf si c'était moi, qui avais perdu de ma prudence avec le temps. Je me sentais de plus en plus en sécurité aussi, je savais que je ne risquais pas ma vie à tout moment et j'avais appris à être un peu plus tranquille et plus sereine. Je n'avais peut-être tout simplement pas fait attention à ce qui pouvait bien se trouver derrière moi. Enfin, si quelqu'un ou quelque chose était là, à nous observer, je pense que je l'aurais tout de même remarqué, pour moi, le regard d'une personne sur soi se sentait. Nous courions depuis deux ou trois minutes maintenant. Jodie tenait toujours ma main, elle avait l'ait assez crispée, elle avait vraiment l'air de craindre quelque chose. Je ne l'avais jamais vu comme ça avant. Je voyais qu'elle était à bout de souffle, j'avais l'impression que je pouvais la perdre à tout moment. Après cinq minutes de course, je m'étais retournée afin de voir si nous étions réellement suivies, puisque je n'entendais rien, aucun bruit suspect. Je n'entendais que le bruit de mon souffle de plus en plus rapproché, je n'entendais même plus le bruit du vent. Après m'être tout de même assurée d'être en sécurité, j'avais tiré assez fortement sur le bras de Jodie pour pouvoir la stopper. « Jodie… Il n'y a absolument rien derrière nous. » Je tenais mes genoux, tentant de reprendre mon souffle. Pourtant, j'aimais encore courir de temps en temps et je n'avais alors pas perdu l'habitude de le faire, mais je n'avais pas l'habitude de courir comme cela. Une fois mon souffle devenu plus régulier, j'ai attrapé la bouteille d'eau que j'avais pris soin de déposer dans mon sac ce matin avant de partir.

Pour en arriver là, Jodie nous avait fait tourner de nombreuses fois, peut-être pour tenter de semer cette chose invisible qui semblé nous poursuivre. J'étais incapable de dire exactement le chemin que nous avions emprunté, je pouvais à la limite dire, que la première fois que nous avions tourné, nous avions tourné à droite et après, c'était le flou total. J'avais une légère peur de mettre perdue dans cette forêt, enfin peut-être que ce n'était qu'une pensée, c'était peut-être parce que je ne m'étais toujours pas remise de ce qui venait de se passer. « Jodie, tu sais comment retrouver notre chemin ? » J'espérais juste une seule chose. J'espérais que sa réponse allée être positive. Je voulais l'entendre dire, bien évidemment Sherry, je sais où on est, je ne me suis pas enfoncée dans cette forêt sans même savoir si j'allais pouvoir retrouver mon chemin pour éviter de devoir passer la nuit ici, je ne suis pas si folle. Puis ajouter suis moi, avant de partir, de revenir sur nos pas et de me ramener jusqu'à la sortie de cette magnifique forêt. Le magnifique était devenu ironique en moins de dix minutes. Je commençais très doucement à trouver cette forêt effrayante, mais pas du tout pour les mêmes raisons que Jodie ou ces autres personnes qui racontaient des tas d'histoire. Non, je commençais juste à avoir peur d'être perdue ici, j'avais peur de devoir passer la nuit ici, même si j'avais par le passé vécu et connu des choses beaucoup plus effrayantes. Enfin, je savais bien que je n'allais pas mourir ici, je savais bien que j'allais finir par retrouver la sortie de cette forêt, puis même si je devais passer la nuit ici, j'avais encore un peu de quoi boire, j'avais de quoi manger et de quoi me couvrir dans le sac.

Le temps était agréable, revoir Sherry était agréable, marcher et prendre l'air était agréable. Je ne regrettais pas cette journée, j'étais ravie d'avoir proposé cette randonnée à Sherry, ravie de sortir un peu de chez moi et de mon quotidien. Jamais, avant aujourd'hui, je n'étais venue dans cette forêt. Je m'en étais approchée, m'étais rendue aux abords, mais jamais je ne m'y étais aventurée. La raison était bête, vraiment. Cette forêt, la seule de la ville, me faisait peur. Elle avait mauvaise réputation ici. Ceux qui s'y aventuraient étaient courageux aux yeux des froussards, ceux qui ne s'y aventuraient pas étaient prudents. On parlait d’enlèvements ou de choses étranges qui s'y passaient, je crois. A vrai dire, je n'avais pas réellement fait attention aux rumeurs elles-mêmes. Le pourquoi la forêt faisait peur m'intéressait peu. Ce que je jugeais utile et que donc j'avais retenu, c'était qu'elle était effrayante et qu'il était plus prudent de ne pas s'y rendre, à moins d'être complètement fou. Je n'étais pas complètement folle, en tout cas, ce n'était pas pour cette raison que j'avais décidé de me rendre dans cette forêt. Je n'avais simplement pas envie de quitter la ville juste pour faire une randonnée, c'était plus simple de venir ici, malgré la mauvaise réputation. Puis je n'étais pas seule, j'étais avec Sherry. A deux, avec nos passés respectifs, il était certain que nous saurions nous défendre, enfin je crois. J’espère. Elle avait combattu des morts-vivants et toutes sortes de créatures monstrueuses. J'avais appris à me battre et je savais me débrouiller, même si mes démons étaient un peu différents des siens. On ne pouvait pas vraiment comparer une entité à un mort-vivant, mais j'avais combattu des humains. Même si nous étions moins actives, plus du tout pour ma part, depuis notre arrivée ici, nous avions de vieux réflexes. Surtout, si je voulais être franche, je devais avouer qu'une petite partie de moi-même – vraiment très petite – avait hâte de faire cette balade. Non pas pour être avec Sherry, pour marcher, respirer le grand air, voir de belles choses ou je ne sais quoi. Juste parce que l'idée que cet endroit pouvait être dangereux m'amusait et me donnait envie. L'idée de sortir de cette routine ennuyante où rien ne passe jamais, je ne pouvais pas dire non. Enfin, cette partie de moi était tellement petite, qu'elle était silencieuse face à la partie logique qui me disait que cette forêt ne devait rien avoir de particulier. Bref, je m'étais donc rassurée avant de proposer ça à Sherry. Ça avait fonctionné. D'autant plus que la forêt n'avait finalement rien de plus effrayant qu'une autre forêt. J'en étais, du moins, complètement persuadée après une petite heure de marche, à peine enfoncée dans cette grande forêt.

J'avais fait part de tout ça à Sherry : le fait que la forêt n'avait rien d'effrayant, que je ne comprenais rien aux rumeurs, qu'elles n'étaient nullement fondées. Elle était d'accord avec moi. Cette forêt ressemblait... à une forêt. Rien de différent, rien d'effrayant, pas de monstres, de fantômes ou de fous qui avaient l'intention de vous kidnapper. Apparemment rien. Elle était même plutôt agréable. Comme elle, j'aimais cet endroit. Calme, loin de la ville, du bruit et des problèmes, c'était le lieu idéal pour se ressourcer, penser à autre chose et quitter la ville sans trop s'éloigner non plus. Au milieu de tous ces arbres et ces herbes, il était facile d'imaginer que nous n'étions plus à Game City. Enfin, la mauvaise réputation avait peut-être un fond de vérité, un coin de la forêt était peut-être réservé à je ne sais quoi ou nous étions venues au bon moment, mais je préférais m'en tenir à ma version : ce ne sont que des rumeurs sans fondement, elle est très agréable et calme, nous nous y sentons bien.

Enfin, je m'y sentais bien jusqu'à ce que j'entende un premier bruit. Ca pouvait être n'importe quoi : un oiseau sur une branche, un petit animal en tout genre ou un plus gros. Le genre que vous n'aimiez pas rencontrer. C'était bête parce que parler avec Sherry de toutes les rumeurs sur la forêt m'avait fait penser à ces choses effrayantes. Alors forcément, j'étais facilement parano désormais. Je m'étais retournée, brusquement, j'étais persuadée de l'avoir entendu ce bruit, il fallait que je trouve d'où ça venait. Je n'allais pas faire comme si de rien était. Sherry avait fait de même, mais plus par imitation que parce qu'elle avait entendu un bruit. Elle semblait chercher ce que je cherchais. Sérieusement, elle n'avait rien entendu là ? C'était impossible. Un deuxième bruit. Le même que le premier, mais plus rapproché. Soit je devenais complètement folle, soit Sherry était complètement sourde, soit ce n'était rien de grave, mon cerveau avait juste un peu trop d'imagination. D'accord. Donc un bruit, j'étais d'accord, il était possible de l'inventer, de l'imaginer. Un deuxième, était-ce possible ? Alors que j'avais l'impression de l'avoir entendu distinctement, sans aucun doute ? Seul le fait que Sherry n'ait rien entendu me faisait douter un demi-seconde. Je n'avais pas envie de prendre un risque, quitte à avoir l'air complètement stupide aux yeux de mon amie.

J'attrapais sa main et je me mettais à courir à toute vitesse. Je n'avais pas écouté ce qu'elle avait dit, je n'avais pas attendu son avis, j'avais analysé la situation, ma situation, celle que je percevais et la solution, ma solution, la meilleure pour moi était de courir. Faire fonctionner ces jambes qui n'en avaient plus l'habitude. Courir aussi vite que j'en étais encore capable après des mois sans aucun entraînement. Respirer pour ne pas tomber net par terre. Ça s'était compliqué, j'avais peu de souffle et je récupérais mal. Sentir la douleur quasi-instantanée dans ses jambes, mais ne pas s'arrêter. Regarder droit devant pour ne pas se prendre une branche dans la figure et sur le sol pour ne pas trébucher avec tout ce qui traîne. Serrer la main de Sherry aussi fort que possible, comme s'il était possible de la perdre en route et de se retrouver seule dans cette forêt. Sentir le sac qui claque dans le dos, et qui ajoute de la difficulté à la course à cause de son poids. Merde, qu'est-ce que ça faisait du bien en fait ! Sentir son corps être actif de nouveau, cet instinct qui m'avait fait courir, et même cette peur. Tout ça, ça me faisait du bien. J'avais toujours vécu comme ça et ça m'avait manqué. Je courrais depuis combien de temps ? Cinq, six, sept minutes ? Je n'en avais aucune idée. Je courrais tellement vite que je m'étais fatiguée tout de suite et le temps me semblait interminable. J'étais terriblement bien et terriblement terrifiée, je n'avais pas envie de m'arrêter pour ces deux raisons. Mais je n'avais pas eu le choix. Sherry avait une sacrée force. Je l'avais remarquée lorsqu'elle avait tiré sur mon bras, stoppant ainsi net ma course. Je prenais la même position que celle de Sherry. Les mains sur les genoux, je tentais tant bien que mal de respirer normalement. Sherry semblait plus résistante que moi, elle retrouvait plus rapidement sa respiration, s'en remettait plus vite. Je prenais plus d'une minute pour répondre. Elle était en train de boire, je me remettais à peine de cette folle course, toujours haletante. Essayant, tout de même, de jeter un coup d'oeil autour, pour être certaine d'être en sécurité, que rien ne nous avait suivi. « Je ne suis pas folle Sherry, j'ai vraiment entendu quelque chose ! Juste derrière nous. » Fallait s'en remettre, dès fois que courir de nouveau serait nécessaire. Je sortais alors, à mon tour, une bouteille de mon sac que je jetais par terre, avant de me jeter par terre à mon tour. Assise, le dos appuyé sur le sac, je vidais la moitié de la bouteille. Je devais en garder, je n'en avais pas pris beaucoup pour que ce ne soit pas trop lourd. J'avais oublié à quel point c'était crevant de courir comme ça.

J'étais silencieuse. La question de Sherry m'avait sorti de mes pensées. Surtout parce qu'elle me ramenait à une vérité : nous étions perdues si elle ne savait pas se retrouver. Parce que j'en étais incapable moi aussi. Je regardais autour de moi, mais je n'avais aucune idée d'où nous étions. J'avais couru, sans vraiment réfléchir, allant un peu n'importe où, tournant à droite, puis à gauche, et encore à droite ou à gauche. Tout se ressemblait ici : des arbres, des arbres et encore des arbres. Et comme je n'étais pas une grande spécialiste, tous ces arbres étaient les mêmes à mes yeux. Bon, Sherry m'avait pausé sa question depuis une minute ? Ou peut-être deux ? J'étais concentrée, essayant de me persuader que non, nous n'étions pas perdues. J'essayais de refaire le chemin, mais impossible. Lorsque je courrais, j'étais concentrée sur autre chose : ne pas se prendre les pieds dans quelque chose, courir suffisamment vite, ne pas lâcher la main de mon amie et pas une seule seconde l'idée que nous pourrions nous perdre ne m'avait traversé l'esprit. Comment voulait-elle que je m'y retrouve, je n'étais jamais venue dans cette forêt, en courant, nous nous étions enfoncées et maintenant, il fallait l'avouer, nous étions perdues. « Bien sûr, il faut... » Bon, pour être franche, je voulais lui mentir, ne pas la faire paniquer pour éviter, qu'à mon tour, je panique. Mais j'étais incapable de la sortir de cet endroit ou même juste de retrouver notre chemin, elle allait bien s'en rendre compte, inutile de mentir. C'était stupide. Stupide et inutile. Faisons les choses dans l'ordre, courir comme ça laissait certainement des traces au sol non ? Je me mettais sur mes deux pieds, observant les alentours. La mauvaise nouvelle était que je ne me souvenais même pas de l'endroit par lequel nous étions arrivées, tout se ressemblait beaucoup trop. La bonne nouvelle était... Il n'y avait aucune bonne nouvelle. Oh, à la limite, si on tenait vraiment à en chercher : nous n'allions pas mourir de faim ou de soif aujourd'hui, c'était cool non ? Puis bon, dans le pire des cas, nous retrouverions notre chemin bien vite, ce n'était l'histoire que de quelques heures, tout au plus. « Bon, pas de panique ! Déjà, on vient de... » Le sol avait l'air plus piétiné à un certain endroit, alors je supposais qu'il s'agissait de nos pas. « Là ? » Demandais-je plus que je ne l'affirmais, en montrant du doigt une direction. Bon, pas de panique. Sortir le portable de sa poche et prier pour que le réseau passe, voilà qui était une bonne idée. Et merde, pas de réseau. Forcément. « Ok. La forêt n'est pas immense, on va bien retrouver notre chemin ou tomber sur quelqu'un... » La deuxième solution était peu probable, il n'y avait personne ici. Vraiment. Enfin, malgré les rumeurs certaines personnes devaient bien se promener dans cette forêt, tout le monde ne croyait pas aux conneries. Pour ce qui était de la taille de la forêt, à vrai dire, je n'en savais rien. J'étais partie sans me renseigner et elle semblait finalement bien plus grande que ce que je pensais. Il n'y avait aucun sentier à suivre pour nous indiquer la sortie, pas là où nous étions en tout cas. On allait trouver, aucune raison du contraire. Il était hors de question de passer la nuit ici, vraiment hors de question. Tout comme il était hors de questions de tourner des heures dans cette forêt. Il suffisait de marcher en une direction, sans revenir sans cesse sur ses pas et nous trouverons une sortie. Aucun doute, ou presque, là-dessus. La forêt n'était pas infinie après tout, elle avait un tas de sortie, il suffisait d'en trouver une.

Avec Jodie, nous devions passer une journée agréable. Marcher un peu. C'était Jodie qui avait eu l'idée de cette sortie et j'avais accepté avec joie, puisque j'étais plutôt contente de la voir et surtout de sortir un peu pour découvrir des endroits que je n'avais pas encore pu visiter à Game City. J'avais pris le temps de préparer cette journée. Je ne voulais rien oublier et je voulais passer une bonne journée. Jodie était l'une des premières personnes que j'avais rencontrée ici et l'une des premières à qui j'avais tout dit sur mon passé, l'une des premières personnes avec qui j'avais partagé mes craintes et mes envies dans ce nouveau monde. Passer de bonnes journées avec elle et parler un peu de tout étant assez plaisant. J'espérais passer à nouveau une bonne journée en sa compagnie, surtout que nous ne nous étions pas vues depuis un très long moment. Pour je ne sais quelle raison d'ailleurs. J'avais pourtant l'impression de l'avoir vu récemment.

Nous étions en train de marcher tranquillement. De parler tranquillement des rumeurs et de la réputation qu'avait cette forêt. Nous trouvions ça complètement absurde, car cette forêt n'avait rien de plus qu'une… Forêt. C'est vrai, je pensais même apprécier cet endroit, comme je l'avais dit un peu plus tôt à Jodie. Elle était plutôt agréable comme forêt. Un bon endroit pour se promener tranquillement, en dehors de la ville. Un endroit où être un peu seule, puisque personne ne venait ici, par crainte très certainement, pas pour tout le monde, j'en avais conscience, mais plupart des gens n'allaient jamais tenter de poser le moindre millimètre de leur corps ici, c'était idiot, mais c'était comme ça. Ils avaient peur et ça m'arrangeait. Enfin, c'était un endroit agréable jusqu'à ce que la personne qui m'accompagnait pour une randonnée s'était mise à psychoter sur ce qui pouvait bien l'entourer. Je sentais une main attraper la mienne. Pas celle d'un monstre, ce n'était pas la chose que Jodie croyait avoir aperçue et entendu. Non, c'était la main de Jodie. Elle m'entraînait dans une course sans me laisser le temps de finir ma phrase. Pendant cinq minutes, je courais, entraînée dans la course de Jodie qui tenait toujours aussi fort ma main. Je devais bien avouer que courir était juste parfait. Que ressentir un minimum de peur était parfait. Tout cela faisait étrangement du bien, des moments comme cela me faisaient penser à la Sherry Birkin du passé. Celle toujours en train de courir pour tenter de sauver l'humanité, toujours prête à se mettre dans des situations dangereuses, à affronter le danger et à vaincre des créatures « effrayantes ». Je pouvais continuer à courir encore quelques minutes, mais à cette vitesse, j'avais peur de perdre mes jambes en route et je ne tenais pas à ça. J'allais peut-être devoir courir de nouveau, si ce que Jodie disait été réel, s'il y avait bien quelqu'un, ou quelque chose, derrière nous, il allait peut-être nous retrouver et nous allions dans ce cas-là sans doute devoir reprendre la course pour tenter de fuir et tenter de le semer. Je devais la stopper et je savais que si je criais pour lui dire de s'arrêter, elle n'allait pas m'entendre, de toute façon, je n'étais pas certaine de pouvoir aligner trois mots sans manquer d'air. J'avais alors pensé que tirer brusquement sur son bras allé la stopper et c'était plutôt efficace. Je lui affirmais qu'il n'y avait rien derrière nous, après avoir repris mon souffle. Son « je ne suis pas folle » m'avait légèrement fait sourire. J'avais très souvent pris Jodie pour une folle, déjà, c'était la première impression qu'elle m'avait faite, avec ses histoires d'entités… « Tu as dû croire entendre quelque chose, mais je peux t'assurer qu'il n'y a rien Jodie. Rien du tout. Je n'ai pas arrêté de regarder derrière nous et rien ne nous suivait, j'ai aussi regardé les herbes qui avaient attiré ton regard avant que tu ne m'embarques et je n'ai rien vu non plus. » Vivre avec une entité, pendant plusieurs années, laissait peut-être des séquelles. C'était une piste à explorer. De quoi me documenter quand j'aurais retrouvé mon appartement et donc quand j'aurais quitté cet endroit.

Je venais à peine de reprendre mon souffle, mais quelque chose de très important venait de me traverser l'esprit. Étions-nous perdues ? Je ne savais pas quel chemin nous avions emprunté pour arriver ici. Il fallait dire que je n'avais pas pensé à me souvenir de ce dernier, surtout que nous avions tourné beaucoup trop de fois, courues bien trop longtemps pour arriver à se souvenir du trajet. J'avais posé la question à Jodie, espérant qu'elle m'apporte une réponse positive, même si j'étais quasiment certaine que ça n'allait pas être le cas. En effet, le fait de stopper sa phrase, sans la terminer, sans m'indiquer le chemin à prendre pour retrouver la sortie, le dernier endroit où nous étions avant de courir me prouver bien qu'elle ne se souvenait plus non plus du parcours. Puis elle avait longuement hésité avant de m'apporter une réponse. Elle tentait sans doute de remettre toutes ses idées en place, puis elle avait certainement tenté de se refaire le chemin en tête. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Ce n'était pas de sa faute. Quoi que si en réalité, si elle avait gardé son calme, si elle ne m'avait pas attrapé le bras pour courir n'importe où, nous ne serions pas perdues. Je ne pouvais pourtant pas lui en vouloir, elle avait pris peur, mais telle une enfant. Jodie aurait dû garder son calme, vérifier si ses pensées étaient réelles, s'assurer d'être « en danger », avant de courir. Surtout qu'elle ne m'avait même pas laissé le temps de m'exprimer, de tenter de la rassurer. Ce n'était plus une enfant pour prendre peur ainsi, alors qu'elle avait connu des choses bien plus effrayantes que celle-ci, c'est du moins ce qu'elle avait pu me raconter. Enfin, en même temps, je ne pouvais pas vraiment me montrer en colère pour ça. J'étais adulte et en vouloir à quelqu'un pour avoir pris peur était complètement idiot. Surtout que je savais que se perdre dans une forêt n'était pas si grave que ça. Se faire injecter un virus mortel était grave, mais pas ça. Là, j'avais une chance de retrouver mon chemin et j'en étais consciente. Puis j'aurais très bien pu la stopper beaucoup plus tôt. Non, j'avais laissé cinq minutes s'écouler avant de tirer sur son bras, alors que j'aurais pu le faire après quelques secondes de course, ce qui aurait facilité le fait de retrouver notre chemin. J'aimais beaucoup le début de sa phrase, mais beaucoup moins la fin de celle-ci. En effet, nous ne devions pas paniquer. Pourtant, elle ne semblait plus se souvenir du chemin. Elle soumettait des hypothèses, mais était loin d'être certaine d'elle. J'étais peut-être aussi fautive qu'elle, je ne me souvenais plus du chemin non plus. Je ne m'étais concentrée que sur le sol et ce qui m'entourait. Je ne voulais pas tomber, ni même me blesser. Je n'étais pas certaine qu'il n'y avait rien ni personne qui nous suivait. Je ne pouvais pas prendre le risque de nous ralentir et de nous mettre en danger toutes les deux, Jodie et moi, surtout s'il y avait vraiment quelque chose à notre poursuite. J'étais pourtant quasiment persuadé, il n'y avait personne derrière nous. Jodie avait très certainement halluciné. A force de parler de toutes ces histoires, de penser à tout cela, elle avait dû se convaincre elle-même de tout ça. Elle avait dû se mettre en tête que toutes ces histoires étaient réelles, même inconsciemment. Elle devait penser au fond d'elle que cette forêt était réellement dangereuse, parce que je ne voyais pas vraiment pourquoi elle avait pu se mettre à courir comme ça, ayant pris peur si rapidement, pour un buisson ayant bougé et un léger bruit. Alors que je n'avais rien vu, rien entendu. Je ne répondais pas à ses hésitations, ça n'allait pas servir à grand-chose. Pour lui répondre un simple, je ne sais pas, ou un peut-être bien ou je ne sais quoi encore. Je n'étais pas plus informé qu'elle. Une nouvelle phrase venait de sortir de sa bouche, elle avait beaucoup d'espoir. J'étais d'accord avec elle pour une partie de sa phrase beaucoup moins pour l'autre. Je ne connaissais pas la taille exacte de cette forêt, mais il ne me semblait pas qu'elle était très grande. Puis, nous allions bien retrouver notre chemin. Après tout, il suffisait simplement d'aller tout droit. Toutes les forêts ont des centaines et des centaines de sorties, ou une seule, mais une immense sortie faisant tout le tour de la forêt. Pourtant, aller tout droit n'était pas une si bonne idée. Nous n'étions pas certaines de retrouver la sortie, même en allant tout droit. En effet, nous ne pouvions pas avancer en ligne complètement droite, il y avait forcément un arbre qui allait se pointer au beau milieu de notre chemin à un moment ou à un autre. Donc s'il y a un arbre, il faut le contourner, passant à droite ou à gauche de celui-ci. Puis après avoir tourné, on retombe sur un autre arbre et une nouvelle fois, on doit le contourner. N'empruntant jamais le même côté pour le détourner et au fur et à mesure, notre ligne de trajet n'est plus droite. Et donc, nous sommes de nouveau perdus, car on a très bien pu faire demi-tour à force de faire de légères rotations pour détourner un arbre, un trou, une branche, un coin d'eau ou je ne sais quoi encore. La partie de sa phrase pour laquelle je restais moins certaine était celle où elle disait que nous allions peut-être tomber sur quelqu'un. Dans une forêt ayant une très mauvaise réputation. Qui semble très effrayante pour tout le monde. Personne n'ose s'y aventurait, à part deux idiotes capables de se perdre bien évidemment. Nous n'avions croisé personne depuis que nous avions posé un pied sur la terre de cette forêt. Nous n'avions croisé que quelques animaux, tels que des oiseaux où encore des milliards d'insectes grouillant partout sur le sol ou les arbres, volant à quelques centimètres de vous et peut-être une personne ou peut-être un animal qui nous aurait peut-être pris pour cible quelques minutes plus tôt ou qui avait fait peur à Jodie, s'il existait vraiment. Mais aucune personne humaine, aucune personne qui nous aurait adressé un mot, un sourire ou encore un signe. « Je pense que nous sommes capables de retrouver notre chemin, nous ne sommes pas si bêtes que ça. D'habitude, même quand j'arrive dans un lieu inconnu, j'arrive toujours à retrouver mon chemin et à m'en sortir, je pense que c'est là même chose pour toi. En revanche, je suis beaucoup moins certaine de voir quelqu'un dans cette forêt. Comme on le disait avant cette folle course, elle est effrayante et on doit être les deux personnes assez folles pour s'y aventurer, alors je pense que cette fois si, on est toutes seules et on va devoir compter sur nous-mêmes pour sortir de ce truc. » Je ne disais pas cela pour la contredire, de toute façon, j'étais certaine qu'en le disant, elle n'y croyait pas elle-même. Je restais tout de même confiante, je savais bien que nous allions retrouver notre chemin. Je m'étais levée, avant d'aller me coller contre un arbre, afin de m'asseoir au pied de celui-ci. J'étais pressée de sortir de cette forêt, car je commençais à ne plus vraiment me sentir en sécurité. Je devais pourtant être capable de garder mon calme, j'avais de nombreuses fois était confronter à des situations dangereuses, bien plus effrayante que celle-ci et ça devait être la même chose pour Jodie. Être perdue dans une forêt dite effrayante ne devait pas être si impressionnant. Comme nous étions perdues et que nous ne savions pas quel chemin prendre et puisque nous étions venues ici, pour faire une randonnée certes, mais aussi pour pouvoir discuter un peu, sachant que nous ne nous étions pas vues depuis longtemps. « Jodie puisque nous sommes perdues et qu'on a pour l'instant rien d'autre à faire que discuter, car on est totalement incapable de prendre une décision sur quel chemin emprunter. On va discuter un peu. » J'ai laissé quelques secondes passées, réfléchissant à ce que je pouvais dire. J'avais tellement de questions en tête que je ne savais pas par quoi commencer. Je devais peut-être commencer par des questions basiques, comme celles concernant le travail. Elle avait peut-être changé de métier depuis, ou elle ne travaillait peut-être plus ou alors elle avait toujours le même métier, elle n'avait peut-être pas idée d'en changer, je ne savais pas vraiment, d'où l'intérêt de poser des questions comme celle-ci. « Alors, tu en es où avec le travail ? Des nouvelles choses et des choses intéressantes à me raconter ? »

Sherry ne semblait pas me croire, elle ne semblait pas croire que dans cette forêt quelque chose qui existait vraiment m'avait effrayé et que non, je ne l'avais vraiment pas inventé. Je n'étais pas folle. Je n'avais pas rêvé. Je n'avais pas menti. Cette chose avait été là. « Je sais ce que tu penses ! Tu penses que je recommence avec toutes mes histoires ! » Si si, ce regard, j'y avais déjà eu le droit il y a maintenant plus d'un an alors que je lui racontais toute mon histoire, ce qu'était mon frère, les entités... Elle ne m'avait pas cru, me prenait pour une folle. Alors qu'elle-même avait vécu des choses étranges et horribles. Et en même temps, je la comprenais. Si une folle que je ne connaissais pas m'avait raconté tout ça, je pense que partir en courant aurait été ma solution. Bref, j'étais persuadée qu'aujourd'hui, c'était la même chose, elle me prenait pour une folle qui ne savait pas ce qu'elle racontait. Elle se trompait, du moins, je voulais m'en persuader. Si je commençais à entendre et voir des choses qui n'existaient pas ici, j'étais perdue. Si dans mon monde, c'était une chose normale pour moi, ici rien de tout ça ne semblait exister, donc ce ne serait que pure folie. A moins que je manquais trop aux entités de mon monde et qu'elles étaient venues me rendre une petite visite ici, mais j'en doutais fortement. « Tu n'as peut-être rien vu, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y avait rien. » Ça n'avait rien d'agressif ou de méchant, j'affirmais juste quelque chose comme elle l'avait fait avant moi. Bon, même si je devais avouer quelque chose, ça me vexait qu'elle ne me croit pas du tout, que l'hypothèse que je puisse avoir raison ne lui effleurait pas l'esprit. « Si je suis en train de devenir folle, tu me fais enfermer, d'accord ? Je n'ai pas envie de me mettre à courir à chaque fois que j'entends quelque chose, je n'ai pas fini sinon. »

Sherry avait vite oublié ma folie et notre course, quelque chose de beaucoup plus important lui avait traversé l'esprit : étions-nous perdues ? Après tout, nous n'avions pas couru en ligne droite. J'avais fait beaucoup de détours, un coup à gauche, un coup à droite pour semer cette chose invisible. Après tout, sur le moment, je n'avais pas pris le temps de réfléchir et ne pas courir en ligne droite pour perdre la chose m'avait semblé être la meilleure solution. J'avais certainement fait une erreur. La forêt de Game City était beaucoup plus grande que ce que j'imaginais et j'avais beau regarder tout autour de moi, nous n'avions pas l'air proche d'une sortie. Je n'apercevais rien, mise à part des arbres à perte de vue. Je n'entendais rien, rien qui puisse ressembler à un bruit de la ville ou à une voiture. J'étais incapable de me souvenir de la route que nous avions emprunté, incapable de dire où nous devions aller, incapable de nous sortir de là si nous étions réellement perdues. Et Sherry, avec sa réaction, en était certainement tout aussi incapable. Bon, il fallait se rassurer, cette forêt n'était pas infinie, nous tomberions bien sur quelqu'un ou sur une sortie. Après tout, il y en avait partout, ça ne devait pas être bien compliqué, à condition, du moins, de ne pas tourner en rond pour ne pas toujours revenir au point de départ. Tout se ressemblait tellement dans une forêt, je ne reconnaissais rien, je n'étais pas une spécialiste en arbre et en plante, je ne pouvais donc pas me repérer. Pour moi, tout était pareil. Il y avait un point positif à toute cette histoire : Sherry ne semblait pas m'en vouloir et nous n'étions pas seules. A deux, ça allait être certainement plus simple. Je l'espérais au moins. Si je m'étais retrouvée seule dans cette forêt, perdue, je pense que la panique aurait été bien plus grande. Elle ne répondait pas à toutes mes interrogations, mais elle s'était mise à parler. Je l'écoutais attentivement, comme si elle allait m'apporter la réponse divine. Je secouais la tête à chacune de ses phrases. Oui, bien sûr, il fallait avoir confiance en nous, sans quoi, nous ne sortirions pas, c'était certain. Mais peut-être qu'elle avait un peu trop confiance justement. Se repérer et se diriger dans une ville inconnue, pourquoi pas, il y avait toujours des indications tout ça, mais dans une forêt, à part des arbres qui avaient, à mes yeux, tous la même tête, qu'est-ce qui pouvait bien nous aider à trouver une sortie ? J'étais d'accord avec elle pour la suite, nous étions seules, il n'y avait vraiment personne dans cette forêt. Voilà pourquoi s'aventurer ici était une mauvaise idée. Dommage de s'en rendre compte une fois perdue avec Sherry et pas avant le départ. La prochaine fois, peut-être qu'il serait judicieux d'écouter ce qu'on disait sur cette forêt et de se souvenir de cette aventure pour ne pas répéter les mêmes erreurs.


Je suivais Sherry des yeux. Elle allait s'asseoir contre un arbre, vraiment ? On ne devrait pas plutôt se hâter pour trouver une sortie ? Était-ce vraiment le moment de faire une pause ? Rester là, sans bouger, ne nous aiderait pas à trouver une sortie, ça s'était la seule chose évidente dont j'étais certaine. Non, j'étais certaine d'une autre chose : plus nous chercherons tôt cette sortie, plus vite nous la retrouverons, enfin, il y avait des chances. Inutile d'attendre que le soir arrive pour s'y mettre et je n'avais aucune envie de passer la nuit dans cet endroit. Enfin, nous avions toutes les deux connu bien pire, ça ne devait être qu'une petite épreuve supplémentaire de rien du tout d'être perdue en forêt, une épreuve dont nous sortirions sans aucun problème. Allez, il fallait s'en persuader. Ce n'était vraiment rien de grave, pas de quoi en faire toute une histoire. Juste de quoi changer la routine pour quelques heures. Ce n'était que du positif, non ? J'écoutais Sherry qui avait repris la parole, nous expliquant que nous n'avions rien de mieux à faire que discuter. Je n'étais pas d'accord, si nous réagissions comme ça, nous pouvions rester coincer longtemps ici avant que l'une de nous se décide sur un chemin à emprunter ou sur comment procéder pour se barrer de cet endroit en un seul morceau et aujourd'hui. « A un moment ou un autre, on va bien être obligées de prendre une décision, capable ou non, après tout ce qu'on a vécu, ce serait con de mourir comme ça, perdues comme deux idiotes dans une forêt qui n'a, au fond, rien de particulier. Mais j'suis d'accord, prenons une pause, discutons avant de passer aux choses sérieuses parce que je ne comptes pas passer la nuit ici. » Parce que ça allait être beaucoup moins amusant de chercher une sortie. Bien moins que de discuter entre amies. « Je m'éclate toujours autant à servir du café, passionnant, tu ne crois pas ? Les seules choses intéressantes, c'est... Je ne pourrais même pas t'en trouver une seule ! » Peut-être, si, les fois où je renversais quelque chose, ça changeait de la routine ! Ou les clients désagréables, c'était amusant, autant que c'était agaçant. Nan, définitivement, il n'y avait absolument rien d'amusant dans ce métier. Enfin pour moi en tous cas, il ne me correspondait absolument pas et c'était ça le pire. Le calme que je pensais y trouver, je le détestais par-dessus tout. Il était tellement différent de ce que je faisais avant. « Sérieusement, je me demande si je ne devrais par arrêter. Mais pour faire quoi ? Je ne peux pas rester sans bosser, je n'ai en aucun cas envie de me retrouver à la rue. » Encore. Dans une situation bien différente et pour des raisons différentes également, certes, mais encore une fois. Je ne me souvenais plus de si j'avais raconté cette partie de ma vie à Sherry, c'est pourquoi je n'y avais fait aucun allusion, avec un "encore" ou quelque chose du genre. Surtout qu'ici, je n'avais plus Aiden à mes côtés, en permanence, pour m'aider et me protéger. Non, vraiment, vivre ce genre d'expérience une seconde fois, je n'en étais pas capable. Je préférais me forcer à faire un métier que je n'aimais pas et vivre une vie que je n'aimais pas. Je n'avais pas vraiment d'autres choix de toutes façons. Bref, en d'autres termes, je n'avais rien d'intéressant à raconter. Toute ma vie, désormais, se résumait à ça de toutes façons : rien d'intéressant. J'en regrettais la CIA, les entités, les missions... Là, au moins, j'en avais des choses à raconter. Pas toujours des choses agréables, des choses que j'avais détesté, des choses horribles même que je ne voulais revivre pour rien au monde, mais il y avait de bons côtés, en tout cas, c'est ce que je croyais aujourd'hui. Je regrettais mon monde, vraiment. Lorsque j'y étais, je rêvais de le quitter, de vivre autre chose, d'avoir une vie normale, la vie que tout le monde souhaitait. Sauf qu'ici, rien ne ressemblait au rêve qu'on se faisait de cette fameuse vie normale. Tout était ennuyant, différent. Il ne se passait jamais rien dans nos vies. On rencontrait des gens, on travaillait, on mangeait, on dormait... Et c'était tout. A mes yeux, il s'agissait d'une retraite forcée. Je ne me sentais plus capable de revivre tout ce que j'avais vécu auparavant, mais certaines choses me manquaient : l'action, bouger et surtout, mon frère. Pas mon frère de chaire et d'os comme il existait ici, mon entité, celle qui me suivait partout, celle qui ne pouvait jamais vraiment me quitter. C'était terriblement égoïste de ma part, j'en avais conscience, mais j'étais mieux comme ça. Je voulais retirer tout ce qu'Aiden avait gagné dans ce monde, pour l'avoir à moi. Je m'étais perdue dans mes pensées, les yeux dans le vide, avant de réaliser que je n'étais pas seule et qu'il était préférable de discuter avant de partir vraiment trop loin. Je me connaissais et lorsque je commençais à réfléchir à ce sujet, je pouvais y passer de très très longues minutes sans même m'en rendre compte. Alors quand j'étais en présence de quelqu'un, être face à quelqu'un de silencieux, les yeux dans la vague, qui semblait totalement ailleurs, c'était étrange et pas très agréable. « Et toi, toujours en recherche ou ça y est, tu es enfin entrée dans le merveilleux monde du travail ? Cette chose tellement différente que la chasse aux zombies dont tu es pourtant une experte ! » Ici, comme moi, elle n'avait pas vraiment trouvé sa voie. Pas encore du moins, peut-être était-ce le cas désormais ? Et si ça l'était, j'en étais vraiment heureuse pour elle. Elle avait longtemps cherché du boulot sans en trouver, ce n'était pas chose facile et encore moins après être débarquée de nul part. Sur son cv, marquer « chasseuse de zombies, résistante à je ne sais plus quoi grâce à je ne sais plus quel virus, participer à sauver le monde », oui, ça faisait cool, mais ça faisait surtout étrange et légèrement, "je suis folle, je m'invente une vie". Pourtant, notre véritable nature, notre véritable vie se résumait à ça. Quelle véritable expérience avions-nous ? A part la chasse aux zombies pour elle et les entités pour moi ? Aucune et ici, ça ne servait à rien. On était bien trop différentes pour ce monde et tellement pas à notre place, mais comme tout le monde, on devait s'adapter et apprendre à vivre une vie normale.

Une bonne sortie. Une occasion de prendre l'air. Une occasion pour bouger un peu, en faisant un peu de marche. Une occasion de parler. C'était ce qui était prévu au départ. On prenait en effet l'air, on avait en effet fait de l'exercice, avec une petite course. Mais nous n'avions pas encore vraiment eu l'occasion de trop parler, mise à part de cette forêt si « effrayante ». Faisant croire des choses à Jodie qui n'était pas réelle. « Ce n'est pas vraiment ça Jodie. Mais tu as peut-être simplement cru voir et entendre quelque chose. » Je n'allais pas lui dire effectivement, tu recommences, tu es complètement folle ma pauvre fille. Je devais pourtant bien avouer que vivre avec une entité, vivre avec une autre personne en soi pouvait laisser quelques séquelles. Comme le fait de croire entendre des bruits ou s'imaginer des choses. Je ne savais pas vraiment ce que c'était que de vivre avec quelqu'un dans sa tête, je ne savais pas ce que c'était que de ne plus vivre avec cette personne après tant d'années de cohabitation. Je n'avais jamais vécu ça. « Je sais bien. J'ai pu ne pas prêter attention au bruit, je n'ai peut-être pas regardé le bon endroit. Je ne peux pas vraiment te dire le contraire, mais c'est un peu gros, je pense que j'aurais au moins entendu quelque chose. » Jodie n'avait pas totalement tort, mais en même temps, je pensais ne pas avoir tort non plus. J'étais quasiment certaine de moi. Il n'y avait personne, rien. J'étais habituée à être vigilante, à faire attention aux bruits, même légers, on ne pouvait pas combattre le mal sans ça, ni même survivre. « Je pense que je peux vite t'enfermer alors. Tu sais très bien que je t'ai toujours trouvé un petit peu folle. Ça a du bon parfois, tu sais, ça peut être drôle ou… fatiguant parfois. Enfin ne t'en fais pas, j'avais prévu de te faire enfermer en rentrant, pour ne plus revivre cette situation. On sait tous que tu peux être dangereuse. » Je l'avais toujours trouvé légèrement folle. C'était ma première pensée en la voyant pour la première fois, avec ces histoires d'entités. J'étais pourtant habitué à tant de choses que ça n'aurait pas dû me choquer ou me perturber. Plus jamais je n'accepterais de sortie en forêt avec elle. Elle pourrait entendre le battement d'aile d'une mouche qu'elle prendrait peur… Jodie quoi. La folie et la peur ne faisaient pas souvent bon ménage. Il pouvait par exemple amener une fille comme Jodie a attraper le bras d'une amie avant de se mettre à courir sans se poser de questions et se perdre en forêt emmenant l'amie dans la même situation. « Je sais bien. C'est vrai que ce serait légèrement ironique. Elles ont vaincu d'un côté des entités, de l'autre des zombies et d'autres créatures plus horribles les unes que les autres. Elles sont mortes dans une forêt à l'abri de tous dangers… Oui, je confirme, c'est idiot. Les gens vont rire de nous après ça. Quoiqu'on pourrait paraître courageuses, on a tout de même parcouru une forêt qui fait peur à de nombreuses personnes. Enfin, pourquoi parler de ça, on va sortir vivante de cette forêt et avant la nuit, je te le promets. Monstre Holmes n'a pas l'air de vouloir pointer son nez… s'il en a un. » Je ne savais pas comment appeler cette « bête ». Monstre Holmes lui allait bien, après tout, il sortait très certainement de la tête de Jodie, elle l'avait sans doute imaginé, à cause de toutes ces histoires. « Si servir du café, tu viens toi-même de le dire. Si tu n'es même pas d'accord avec toi-même, on ne va pas aller loin. Tu es censée être seule dans ta tête maintenant. Je ne sais pas si c'est le cas, mais j'ai un léger doute. » Je la taquinais, quoi de mieux pour oublier cette forêt. Je savais bien qu'elle était ironique en disant que c'était bien de servir du café. Je savais très bien qu'il n'y avait rien d'amusant dans ça. En arrivant ici, je n'avais pas de travail et j'avais dû enchaîner de nombreux petits boulots, comme celui de serveuse pour quelques jours et j'étais contente de ne pas avoir dû continuer plus longtemps. « Si tu ne te plais pas dans ce que tu fais, le mieux c'est vraiment d'arrêter. Au final, on t'offre une seconde vie ici. C'est nul de la bousiller en faisant ce que tu n'aimes pas, en te prenant la tête pour des trucs qui finalement sont complètement ridicules.  Je sais que ne pas travailler n'est pas marrant et c'est angoissant, tu ne sais pas si tu vas trouver du boulot, si tu vas pouvoir payer ton loyer ou je ne sais quoi encore, je sais, je l'ai moi-même vécut en arrivant ici. Trouve ce qui te ferait vraiment plaisir et quand tu serras certaine de ce que tu veux largue moi ce boulot. » Elle méritait tellement mieux que servir du café. Elle avait, elle aussi, eu l'occasion de sauver le monde à sa façon et dans son monde. Si elle se retrouvait là pour faire ce métier qui ne lui plaisait absolument pas ce n'était pas la peine de s'être autant battu pour ça au final. Jodie devait prendre les choses en main, se débrouiller pour trouver quelque chose d'intéressant et de plaisant, quelque chose qui lui plaisait. Pourquoi pas faire des stages comme j'avais pu le faire et au final trouver un métier qui lui plaisait. Laisser tomber celui qui ne lui plaisait pas. Trouver quelques petites choses bien à ce monde. « Je suis enfin entrée dans le merveilleux monde du travail. J'ai cherché dans le domaine des zombies, mais apparemment ici ce n'est pas possible. Je suis douée pour un truc qui n'existe pas ici. J'ai alors pris une autre option. J'ai fait un stage au musée, ça m'a vraiment plus et au fil du temps, j'ai obtenu un petit travail là-bas, c'est tellement mieux que de tourner en rond chez soit ou que de se taper tout ce que les autres ne veulent pas faire en faisant des petits jobs. » J'aimais vraiment beaucoup ce travail au musée. Même si évidemment ce n'était pas ce que je me voyais faire quand je pensais à mon futur. Je m'étais toujours vu être très active, à devoir sauver le monde jusqu'à mon dernier soupir.

Il était évident que jamais nous n'arriverions à nous mettre d'accord. Nous pensions toutes les deux avoir raison et ni l'une, ni l'autre ne semblaient décidées à accepter son erreur. Je me posais tout de même la question : quelque chose se trouvait vraiment dans la forêt ou je me l'étais imaginé ? La question n'aurait certainement pas de réponse. J'étais sûre de moi, Sherry était sûre d'elle. Qu'il y ait eu une bête ou non, nous étions désormais seules. Cette question resterait donc un grand mystère. Alors chacune avançait ses arguments pour convaincre l'autre. Elle trouvait trop gros de n'avoir ni entendu, ni vu, de ne pas avoir regardé au bon endroit. Et pour moi, ce n'était pas un peu gros d'avoir entendu le bruit plusieurs fois ? Non, pour elle, je l'avais forcément imaginé. Sherry m'avait toujours prise pour une folle, alors c'était normal qu'elle continue sur cette lancée. Pour elle, j'étais la folle qui avait vécue avec une entité toute sa vie et forcément, ça laissait des traces, malgré le temps passait. Enfin, ce n'était pas si loin, même si ça me semblait une éternité. Enfin, si Sherry avait raison et si j'étais folle et que je commençais à entendre et voir des choses qui n'existaient pas pour les autres, je préférais lui demander de me faire enfermer pour ne pas avoir à revivre une seconde fois tout ce que j'avais enduré. Une partie de ma vie me manquait, pas toute. « Je ne comprends pas pourquoi tu me trouves folle ! Tu viens bien d'un monde où des morts t'attaquent à longueur de journée et jamais je ne t'ai trouvé folle. » Et c'était vrai, non ? Quelle différence entre nos deux mondes ? Nous étions toutes les deux dans un monde où les morts revenaient, sous une forme ou une autre. En quoi les entités me rendaient plus folle que ses zombies ? D'accord, elle n'avait pas un zombi attaché à elle, en permanence, mais quand même. « C'est toi qui as préparé tout ça ? Pour qu'on me prenne réellement pour une folle et que tu puisses mettre ton plan diabolique à exécution ? Je suis désolée Sherry, mais je vais te fatiguer encore un peu avec ma folie ! Ça ne fonctionnera pas ! » Pourquoi pas, après tout ? Elle voulait peut-être me faire enfermer et avait demandé à quelqu'un de me faire peur. Je souriais, juste histoire qu'elle comprenne que je plaisantais. Elle pourrait facilement prendre peur et me croire vraiment folle si je commençais à utiliser la théorie du complot pour tout et n'importe quoi.

Bref, ce n'était pas cette forêt qui allait nous faire peur. On avait vécu tellement de choses. Les personnes qui connaissaient nos histoires se moqueraient de nous si on était retrouvées mortes ici. Selon Sherry, certains pourraient parler de courage puisque nous étions tout de même venues ici, dans cette forêt crainte par beaucoup. Je n'étais pas convaincue. Les gens ne retiendraient que ce qui est drôle, pas le côté courageux. Je l'écoutais ajouter quelques mots sur le monstre Holmes. Elle était sérieuse ? C'était sympa comme nom. Vraiment trop d'honneurs. Comme simple réponse, je lui avais tiré la langue, comme une enfant. Il n'y avait bien qu'avec Sherry que je m'autorisais ce genre de comportement. Puis, qu'est-ce que je pouvais bien répondre à ça ? Rien du tout. Rien de sérieux, tout du moins. Alors autant discuter d'autres choses, comme l'avait suggéré Sherry. De choses plus sérieuses. On ne s'était pas vues depuis une éternité, pourquoi ne pas profiter de cet instant pour prendre des nouvelles avant de se lancer dans la grande aventure pour chercher une sortie. « On te fait peur la personne dans ma tête et moi-même ? » lui demandais-je, amusée. Je n'avais plus personne. Aiden n'était définitivement plus là. C'était le vide le plus complet. C'était trop calme. J'étais trop seule. Mais enfin, là n'était pas la question. Il s'agissait simplement d'une plaisanterie de Sherry après lui avoir parlé de mon boulot. Ce boulot que je haïssais chaque jour un peu plus. Écouter Sherry me donnait envie, en effet, de tout quitter, d'arrêter ce boulot qui ne me plaisait pas et de vivre ce que j'avais envie de vivre. Sauf que c'était plus compliqué à faire qu'à dire. Elle avait raison. On avait tous eu une deuxième chance. Dans la vie, tous n'avaient pas cette chance. Et j'en faisais quoi ? Je gâchais tout. Presque deux ans que j'étais ici pour quoi, au final ? Rien. « T'as raison. Faut que je me reprenne. On ne sait pas si on est ici pour toujours, si un jour, on devait repartir chez nous, on regrettera tout ce qu'on n'a pas pris le temps de faire ici. » Elle me faisait réfléchir. Vraiment. C'est vrai, je n'étais pas obligée de lâcher mon boulot maintenant. Je pouvais prendre le temps de trouver quelque chose qui me plaisait et ensuite seulement quitter l'actuelle place que j'occupais. Ça m'évitait cette angoisse de manquer d'argent et de me retrouver à la rue. Même si, malgré tout, j'avais toujours Aiden en cas de problèmes. Elle m'avait ouvert les yeux en quelques mots. Bien sûr que je m'étais déjà dit tout ça, mais ça ne m'avait pas fait réagir. Entendre ces mots de la bouche de quelqu'un d'autre avait été bien plus efficace. Bref, c'était au tour de Sherry de me raconter toutes ses aventures. Elle qui cherchait du boulot depuis un bon moment avait enfin la chance d'en avoir obtenu un. C'est vrai que niveau zombies ici, ça manquait légèrement et elle n'avait eu d'autres choix que de trouver quelque chose sans les étranges créatures qu'elle fréquentait autrefois. « Si tu veux que je créé un virus qui transforme en zombie, suffit de me le dire, j'te rends ce service avec plaisir. » Dommage que je n'en étais pas capable. Créer des zombies et sauver le monde de sa propre création, ça fait passer le temps. « Je suis contente pour toi, surtout que ça a l'air de te plaire. Puis avec un peu de chances, les momies du musée se réveilleront et ce sera à toi de jouer ! » J'imaginais la scène et elle me plaisait bien. Vraiment. « Si ça arrive un jour, tu m'appelles surtout ! Je ne veux pas rater ça ! » Voilà ce qui me plaisait, bouger, faire quelque chose d'utile. Même si dans mon monde, je détestais ça. Le changement avait été trop radical. « Et sinon, à part le boulot, des nouveautés pour toi ? »

« Oui enfin, tu viens d'un monde où les entités étaient dans vos têtes, vous pouviez communiquer avec elles, où elles pouvaient faire des trucs pour vous. Elles ont pu quitter l'au-delà pour venir dans ton monde, tu as dû les combattre. Tu as déjà vu des esprits, tu as déjà communiqué avec eux. Je n'ai pas encore tout dit, mais je pense que tu connais ta vie donc je n'ai pas besoin de te faire toute la liste. Si tu veux, on peut dire que ta folie vient de là. Qu'Aiden t'a laissé des traces en quittant ta tête pour de bon ou j'sais pas quoi. Après si tu préfères, je peux dire que nous sommes toutes les deux compléments folles, venant d'un monde complètement fou... » En y pensant, nos deux mondes étaient à la fois complètement différents et pourtant, ils se ressemblaient tout de même. Au début, j'avais pris Jodie pour une folle, ce n'était un secret pour personne. Mais très vite, je l'ai cru, après tout ce qui s'était passé dans ma vie, je ne pouvais pas me dire que ce genre de choses ne pouvait pas exister. Nous étions peut-être, toutes les deux, folles, peut-être que toutes les personnes qui vivaient ici étaient folles et que nous n'avions pas changer de monde, mais peut-être en avions-nous tous inventé un. « Bon d'accord, je dois bien avouer. C'est bien moi. Je plaide coupable. J'ai engagé un phacochère que j'ai payé une fortune pour venir se pointer dans cette forêt. Il avait pour ordre de se faire remarquer, mais pas trop non plus. Il devait te faire peur, pour que tu prennes la fuite. Je devais te dire que je n'avais rien entendu, rien vu et que tu étais la seule à avoir vu ça. C'était donc ton imagination, je devais te faire croire à une hallucination. Tout ça dans le seul but de te faire enfermer et pour ne plus avoir à supporter ta folie. Je suis douée quand même, du moins je dois l'être, vous me pensez tous à l'origine de vos malheurs. Je ne sais pas combien de fois je vais devoir vous le dire, mais je ne suis pas capable de créer un monde, je ne suis pas capable de parler aux animaux, ni même de les convaincre de faire ce genre de truc. Même si je dois bien avouer que j'aimerais beaucoup savoir le faire. » Les gens qui m'entouraient s'imaginaient beaucoup de choses à mon égard. Jake pensait au début, à notre arrivée dans ce monde, que c'était moi qui l'avais envoyé ici. Comment aurais-je pu faire ça ? Depuis, il avait bien compris que je n'y étais pour rien. Maintenant, Jodie disait que j'étais à l'origine de ces bruits et mouvements dans la forêt, dans l'unique but de lui faire peur. J'aimais bien la taquiner, l'embêter un peu, mais je n'étais pas capable de monter quelques choses comme ça, je n'étais pas encore capable de me dédoubler, ni même de communiquer avec les animaux comme je venais de lui dire. « Cette phrase fait vraiment flipper. Là oui, tu, ou vous du coup, me faites peur. » En même temps pendant un temps, cette phrase était vraie pour elle. Elle avait vécu avec une autre personne dans sa tête pendant de nombreuses années. Aiden, ne l'avait jamais abandonné. Si j'avais connu son monde, si j'y avais vécu cette phrase aurait été totalement normale, mais dans ce monde-ci, c'était une chose improbable. Normalement. Après tout, nous n'étions sûr de rien, le fait de changer de monde de cette façon n'était pas quelques choses de très naturel. « J'ai toujours raison Jodie, tu sais. Non, mais sérieusement, il faut vraiment que tu profites, car comme tu le dis, si un jour, on rentre à la maison, tu regretteras tout ce que tu n'as pas pu faire ici. » Nous ne savions pas si nous étions là pour toujours où pour un temps. Nous devions faire le maximum de choses en peu de temps, faire ce que l'on souhaite faire avant de quitter ce monde, si nous devions le quitter un jour. Je commençais doucement à comprendre ça et à accepter ce monde de plus en plus. « Tu ferais ça pour moi, c'est super ça, tu es une véritable amie. Je savais que je pouvais compter sur toi. Bon du coup, ce serait bien de l'avoir pour dans un mois maximum, si possible bien évidemment. Quoi qu'attend, j'ai un doute là. Tu crées le virus à ma demande et je dois le sauver, non ça ne va pas ça. Sinon je suis à la fois destructrice et sauveuse de l'humanité. Ça donne matière à réfléchir tout ça. » Je savais que de toute façon, il était impossible pour nous de créer ce genre de sérum. De plus, je ne comptais pas un jour créer la fin du monde, mettre fin à la vie des gens pour en faire des monstres. Je préférais de loin être celle qui devait sauver ces personnes. « C'est vrai ça pourrait vraiment être drôle. Et comme on dit plus on est de fous, plus on rit, je pense que tu serais très rapidement au courant. De toute façon, j'suis plus tellement solitaire pour ce genre de truc. » Je ne savais même pas si j'étais encore capable de me battre avec un mort-vivant. Je n'étais plus chez moi depuis longtemps et je n'avais pas dû me battre ainsi depuis un moment également. Puis les momies ça changeait des zombies et autres "monstres" que j'avais dû combattre par le passé. « Je n'ai pas grand-chose à te dire. Mise à part le faire que je sois avec Jake. Ma vie n'est pas bien remplie, tu sais. Après comme tu le dis, il y a le boulot et c'est déjà pas mal, je trouve. » J'avais glissé ma phrase discrètement. Je savais que Jodie était curieuse et je ne voulais pas qu'elle me questionne. Mais au moins, elle ne pouvait pas dire que je ne lui avais pas dit. Avec un peu de chance, elle avait entendu ma phrase, elle l'avait comprise et retenue, mais elle n'y avait pas réellement prêté attention.

« On reprend la route tout de suite ou on papote encore un peu ? » Personnellement, je n'avais pas envie de repartir tout de suite. Toute la fatigue était retombée au moment où je m'étais assise. Même si j'étais plutôt du genre courageuse, je n'avais pas le courage de me lever pour reprendre la route. Je savais pourtant que nous allions bien devoir repartir un jour puisque la nuit n'allait pas tarder à tomber et que je ne comptais pas m'installer ici définitivement. Le danger n'était pas réel ici, ce n'était que des histoires. Une histoire en engendrait une autre et ainsi de suite, venant perturber l'imagination des personnes parcourant cette forêt. Après tout, cette forêt avait peut-être le pouvoir de faire sortir les monstres de l'imagination des autres. Comme cette bête que Jodie s'était imaginée Jodie. Pour moi, il n'y avait pas de danger ici, j'en étais maintenant convaincu. Si ce dernier était présent, pourquoi ne se serait-il pas présenté une nouvelle fois ? Non, c'était idiot. Jodie n'avait fait qu'imaginer cette chose, imaginer ces bruits tout comme le reste. Après cette question, je m'étais allongée sur la terre qui dégagée une certaine fraîcheur. Mon sac à dos était sous ma tête, les mains croisées sur le ventre et les jambes pliées, je regardais le ciel à travers les immenses arbres qui nous entouraient. Tout cela sans même attendre une réponse de Jodie, qui aurait peut-être voulu quitter cette forêt au plus vite.

Aiden. Plus que laisser des traces, j'aurais préféré qu'il soit toujours là. Attaché à moi. Si je pouvais en décider, aujourd'hui, je choisirais de ne jamais le laisser être libre. J'étais égoïste. J'en avais conscience, et alors ? Mes souhaits avaient bien peu d'importance. Ce n'était pas parce que je l'espérais que ça allait arriver, alors je pouvais bien me permettre d'être égoïste. Ça ne faisait de mal à personne, si ce n'est à moi-même. Enfin, peu importe. Sherry m'avait fait penser à ça, mais ce n'était pas ça l'essentiel, à cet instant. Elle avait dit ça pour s'amuser et il n'était pas nécessaire de partir plus loin. Autant rester sur un sujet léger, loin de tous les problèmes. « Tu as raison. On va dire que nous sommes, toutes les deux, folles. » L'histoire qui suivait me prouvait qu'en effet, Sherry devait être au moins aussi folle que moi, si ce n'était plus. « Un phacochère ? Vraiment ? » Ça, ce n'était pas fréquent, je n'avais pas pu m'empêcher de rire. Quelle histoire ! C'était fou. « Créer un monde ? Qui t'a cru capable de ça ? C'est ridicule. » Ajoutais-je pour m'amuser. « Cette phrase te fait flipper ? » J'avais répété ces mots, insistant sur chacun des mots. « Ce qui est le plus flippant, c'est que ça pourrait être vrai, non ? » Comme chez moi. Comme dans mon monde. Pas comme ici où je n'étais personne, plus rien. Une personne comme les autres. Une personne comme les autres qui gâchait tout ce qui lui arrivait. Incapable de réussir une vie normale. Un jour, peut-être, retrouverais-je Aiden ? Et dans ce cas-là, Sherry ne serait certainement plus avec moi. Dommage, là, j'aurais pu la faire vraiment flipper. C'est vrai quoi, ses zombies, on pouvait les tuer, aussi difficile était-ce. Mais une fille, une humaine, une fille bien vivante qui se baladait avec une entité, on ne pouvait pas y faire grand chose. Ça, elle n'y pouvait rien. Elle pouvait me tuer, oui. Mais ça ne lui apporterait rien.

Sherry était géniale. Dans mon monde, j'avais rarement connu des personnes comme elle. Sincère et désintéressée, prêtes à aider. Je me trompe peut-être aujourd'hui, mais chaque personne que j'avais fréquentée, était avec moi, avant tout, pour cette particularité qui me rendait plus forte. Sherry était là parce qu'elle tenait à ses amis. Elle les aimait. Du moins, je crois. Alors, j'allais essayer d'en profiter, comme elle l'avait dit. Même s'il y avait de fortes chances qu'une fois sortie d'ici, je ne réussisse pas à tenir ça, à profiter. J'étais comme ça. Je croyais en quelque chose avant de ne plus en avoir le courage.

Enfin, il était temps de parler de quelque chose de moins ennuyant et de plus joyeux. Mon ennui, ma vie qui ne me plaisait pas, ça allait deux minutes, mais nous n'étions pas là pour discuter de ça. Alors on parlait de Sherry, parce que je ne l'avais pas vu depuis un moment et que je voulais en savoir plus sur ce qui s'était passé pour elle ces derniers temps. Comme elle ne trouvait rien en rapport avec les zombies, j'avais la merveilleuse idée de lui créer un virus. Une bonne invasion de zombies et c'était reparti pour les aventures. Pour la vraie vie. Celle où tu ne te lèves pas tous les jours avec l'envie d'aller t'enterrer dans un coin parce que, merde, qu'est-ce que c'est chiant d'avoir une vie banale. « Je peux tout aussi bien le faire sans t'en informer. Ça arrivera du jour au lendemain et ce sera à toi et ta petite bande de jouer ! » Ainsi, elle n'aurait pas ses problèmes de conscience. Destructrice et sauveuse de l'humanité. Quelle idée étrange. Bon, à défaut de créer un virus transformant les morts en morts-vivants, les momies du musée où Sherry travaillait pouvaient se réveiller. Ce serait cool, non ? Un peu d'action, mais au final bien peu de risques. Elles ne devaient pas être très nombreuses et plutôt faciles à combattre. « Et je préfère avoir quelqu'un à mes côtés aussi. On ne sait jamais, je pourrais avoir besoin de sacrifier une pauvre innocente pour sauver ma peau. » J'avais plutôt l'habitude d'être seule, ou presque, si Aiden ne comptait pas comme une personne, mais aujourd'hui, j'étais certainement même incapable de mettre par terre une mamie qui essayerait de me voler mon sac. Tout ce temps passé à Game City ne m'avait certainement pas réussi. Tout ce temps passé à m'entraîner pour rien, aujourd'hui.

Bref, terminé de parler de virus ou de monstres, Sherry venait de m'avouer être avec ce fameux Jake. J'étais heureuse de voir que la vie lui souriait enfin : un boulot qui semblait lui plaire, un copain. Malgré tout, la réussite de Sherry mettait trop en évidence mes défaites. Tout ce que je perdais ou avais perdu ces derniers temps. À croire que c'était comme ça la vie, tous ne pouvaient pas être heureux. Certains étaient capables de foutre en l'air le bonheur auquel ils pouvaient accéder parce qu'ils étaient incapables de l'accepter. « Pas bien remplie ? Un boulot qui te plaît, un copain, une bande d'amis... Tu dois quand même en avoir des choses à faire. » Et c'était tant mieux pour elle, elle le méritait.

Je jetais un coup d'oeil autour de nous. Reprendre la route ? Il fallait bien, mais j'étais bien ici. En plein air, loin du bruit de la ville et loin de cette tranquillité que je détestais. Je ne répondais pas immédiatement, mais la position qu'avait adoptée Sherry répondait pour moi. « On va rester encore un peu, apparemment. » J'étais plutôt d'accord avec cette idée, donc ça ne me dérangeait pas. « Tu crois qu'un jour, on retournera chez nous ? » Cette question, je la posais sans cesse. Et sans vouloir plomber l'ambiance, une nouvelle fois, je voulais connaître l'avis de Sherry.

Spoiler:

« Pourquoi pas. C'est possible après tout. Certainement plus probable qu'un monstre dans ce monde, je pense. » Ici, il n'y avait rien de surnaturel. Ce mot me faisant toujours bizarre à prononcer. Pour moi rien n'était surnaturel. Les zombies, les araignées géantes, les javos… Pour moi, tout cela existait, pour d'autres personnes, tout cela semblait absurde. Encore aujourd'hui, je ne pouvais pas dire qu'ils n'existaient pas, je les avais vus, les avais combattus. Même si aujourd'hui, dans ce monde, ils n'étaient pas présents. « Peut-être un peu, mais en même temps quand on est arrivé ici nous étions seuls. Personne ne savait comment nous étions arrivés là, ni même pourquoi. On essayait de trouver des réponses, des choses plutôt rassurantes. Parce qu'en effet, si j'avais créé ce monde pour envoyer les gens que j'aime ici, ils n'auraient rien eu à craindre. Ils étaient en sécurité. Malheureusement, ce n'est pas moi qui l'ai fait. » Je comprenais la réaction de Jodie. Quand Jake m'avait dit qu'il pensait que je l'avais envoyé ici, j'avais eu la même. Pourtant avec un peu de recul, je pouvais comprendre cette pensée. J'aurais moi aussi voulu que quelqu'un comme Claire ou Léon ait créé ce monde. Si c'était le cas, j'aurais su que j'étais en sécurité, mais ce n'était pas le cas.

« Justement, c'est bien ça qui est inquiétant. Jodie, la fille qui a communiqué pendant de longues années avec son frère jumeau décédé. Celle qui était reliée à lui. Celle qui était plutôt ceux, puisque vous étiez deux dans un même corps. Qui sait peut-être que tu n'as pas encore l'habitude d'être seule. Peut-être que tu t'es inventé d'autres personnages pour communiquer avec eux. Ton cas est intéressant à étudier. » Je me moquais, pourtant son histoire m'avait profondément touchée. Tellement, que j'avais absolument voulu l'aider à retrouver son jumeau, quand j'ai pu lui dire qu'Aiden était vivant, qu'il était dans ce monde, j'avais moi-même l'impression d'avoir retrouvé un proche, alors que je ne connaissais même pas cet homme. De plus, je savais bien que sa vie n'avait pas été si simple, qu'à certains moment elle aurait préféré que son frère ne soit pas dans sa tête, mais elle n'avait pas eu le choix. Elle avait été courageuse. Et je savais qu'aujourd'hui, il lui manquait, car ils s'étaient éloignés tous les deux, je savais qu'elle aurait préféré le voir encore relié à elle, même si c'était parfois compliqué. « Je ne peux pas te faire confiance dans ce cas. Si tu peux faire de telles choses, sans même vouloir m'en parler, c'est inquiétant. Au final, beaucoup de choses sont inquiétantes chez toi. Bon en même temps, ça pourrait être plutôt bien. Tu pourrais nous aider, même si tu es l'auteure de tout cela. Comme ça tu pourras voir comment on agit nous, ça me rappellerait de bon souvenirs, si je puis dire. » Je n'étais pas certaine que Jodie soit parfaite dans la chasse aux zombies, mais toutes les aides étaient bonnes à prendre. Après tout, elle avait déjà combattu des entités. Je me remémorais souvent le temps passé. Beaucoup de personnes me penseraient stupide, beaucoup voudraient oublier leur passé quand il pouvait être semblable aux miens. Je voudrais pouvoir l'oublier, pouvoir me dire que tout cela n'a jamais existé, que tout cela n'était qu'un long rêve. Pourtant, j'aimais me remémorer ces instants, ils faisaient partie de ma vie et je ne voulais en oublier aucun. « Je ne te pensais pas comme ça Jodie. On ne peut vraiment pas te faire confiance, c'est officiel. Je vais me méfier de toi à chaque fois que tu seras à mes côtés. » Je disais ça pour plaisanter évidemment. J'avais appris à ne pas accorder ma confiance si facilement après l'épisode avec Simmons. Pourtant, j'avais confiance en Jodie. Je ne savais pas comment l'expliquer, mais dès notre première rencontre, je savais que je pouvais lui faire confiance. C'était peut-être son histoire qui m'avait fait la voir comme ça, même si au début, je la voyais plutôt comme une folle, son histoire me semblait tellement improbable. Je savais que je n'avais pas besoin de me méfier d'elle, elle n'était pas comme ça.

Jodie s'intéressait à ma vie, comme je m'intéressais à la sienne. Nous ne nous voyions pas souvent et nous ne savions pas vraiment ce que devenait l'autre. On voulait toutes les deux que l'autre s'en sorte, que l'autre apprenne à réellement apprécier sa vie ici et à s'épanouir dans ce monde. « Oui, j'ai de quoi m'occuper, mais pas assez pour moi. J'avais l'habitude d'être active à longueur de journée et ce n'est plus du tout le cas. Je ne suis plus aussi utile qu'avant non plus, ça n'arrange rien. » Je consacrais beaucoup de temps à Jake, à mes amis, mon boulot, mais tout cela n'était pas fort passionnant. J'aimais beaucoup ce que je faisais, les gens avec qui je partageais mon temps, mais comme je l'avais dit à Jodie, je ne me trouvais plus assez active. Plus comme avant. Avant je courais pour sauver le monde... Et aujourd'hui ?

Je n'avais pas envie de quitter cette forêt maintenant. Je ne savais pas si Jodie pensait comme moi, c'est pour ça que je lui avais posé la question, mais sans même attendre sa réponse, je m'étais allongée sur le sol, posant ma tête sur mon sac. « Si tu préfères trouver la sortie maintenant, on peut tenter. Je ne vais pas te forcer à rester là. » Si je voulais rester là, c'était simplement parce que j'étais épuisée, qu'il ne faisait pas encore nuit, que nous étions au calme dans un endroit où personne ne passe. Nous pouvions discuter tranquillement ici, sans être dérangé, à part par un sanglier ou autres qui effrayaient Jodie. Mais comme je l'avais dit à Jodie, je ne pouvais pas la forcer à rester allonger sur la terre et les quelques feuilles qui s'y trouvaient. Si elle préférait rentrer, je me serais levé pour reprendre la route avec elle, sans broncher. « Je ne pense pas. À mon avis, on est tous coincés ici et pour toujours. Nous sommes déjà là depuis un moment et j'ai vraiment l'impression que ça ne changera pas. » Je n'avais en effet pas de quoi prédire l'avenir. Je ne savais pas si nous allions rentrer chez nous un jour ou non, mais j'étais presque certaine que nous allions rester ici pour toujours. Était-ce plus mal ? Après tout ici, dans ce monde, nous étions peut-être plus en sécurité. Nous pouvions mener une vie normale. Je ne pouvais pas dire si j'étais capable de vivre totalement comme je pouvais le faire plusieurs mois dans le passé. Même si ce n'était pas ce que nous voulions tous, on avait changé, nous nous étions habitués à ce monde et en changer allait être de nouveau une épreuve. « Tu as envie de retourner dans ton monde ? » Personnellement, à cet instant, je ne savais plus si j'étais mieux ici ou dans mon monde.

Pourquoi les monstres n'existaient pas ici ? L'idée qu'un monstre pouvait se cacher dans la forêt paraissait ridicule aux yeux de Sherry. C'était normal. Au fond, je trouvais cette idée ridicule aussi. Après tout, depuis que je vivais ici, combien de fois avais-je été confrontée à des monstres ? Combien de fois avais-je dû combattre des êtres venus d'un autre monde ? Aucune. Cette fois-ci, les êtres venus d'un autre monde, c'était nous. Nous tous. Toutes ces personnes qui s'étaient réveillées un matin, sans plus rien savoir de leur vie d'avant ou avec des souvenirs, mais sans être capable de comprendre ce qui c'était passé. C'était mon cas. J'étais arrivée ici, seule et perdue, sans comprendre comment. Alors les monstres, c'était peut-être nous. « On aurait dû vivre dans un monde merveilleux ? Ou tout le monde est tout gentil ? Ou personne ne souffre jamais ? Ou tout le monde sourit tout le temps ? C'est ton monde qui est effrayant ma petite Sherry ! » Je plaisantais, bien sûr. Mais si ce monde existait réellement, serait-il vraiment parfait ? Aucun défaut, aucun problème, aucune souffrance... C'était tellement étrange, que l'idée était effrayante, ou presque. C'était tellement loin de notre univers, notre monde et notre façon de vivre.

« Deviens psy, et promis, j'te laisserai étudier mon cas très intéressant ! » C'était vrai que, dit comme ça, je semblais folle. Et tout ce qu'elle avait utilisé pour parler de moi me faisait paraître folle. Mais je ne pouvais pas nier, tout ce qu'elle avait dit était vrai. C'était effrayant. Je préférais en rire. Oui, parce qu'elle avait dit quelque chose qui m'avait touché. Quelque chose de vrai et que j'avais du mal à assumer, même si ce n'était plus un secret. En effet, je ne supportais pas d'être seule. Je n'avais jamais vraiment été seule. Aiden avait toujours été là et il me manquait terriblement. Je me détestais de penser ça, mais le Aiden qui me manquait le plus, ce n'était pas l'homme qui préférait passer plus de temps avec un inconnu qu'avec sa sœur, mais c'était le Aiden qui s'était accroché à moi, qui avait tout partagé avec moi, avec qui je ne faisais qu'un. Cet Aiden me manquait et pour cet Aiden, je serais presque prête à n'importe quoi. Surtout pour le retrouver. Même si le retrouver devait signifier retourner dans mon monde et recommençait avec les missions, avec ma vie que j'avais tellement détesté. Dans ce monde, j'avais tout perdu et tout raté, que ce soit avec Aiden ou avec Ryan. Enfin, il n'était plus question pour l'instant que j'ennuie Sherry avec ces histoires.

« Tu as raison de ne pas me faire confiance ! » J'avais essayé de prendre une mine sérieuse, mais je crois que c'était raté. « Et tu as raison de trouver que tout est inquiétant chez moi ! Je suis une fille inquiétante et dont il faut se méfier. Je pensais pourtant te l'avoir déjà dit. » Encore une fois, j'avais tenté la mine sérieuse, sans grand succès je crois. « Les bons souvenirs ? C'est toi la fille effrayante ! Mais enfin, j'ai bien envie de te voir à l'action. Et tu pourras voir comment j'agis moi aussi. Même si je dois avouer que sans Aiden pour m'aider, je ne dois rien valoir à côté de vous ! Mais, comme je les aurais créés, j'aurai un avantage certain sur vous. » Avais-je poursuivi, accompagné d'un rire diabolique. Je me sentais d'ailleurs ridicule, ça n'avait ressemblé à rien. « Oublies ça, tu veux ? » Ce n'était pas une question, c'était un ordre !


Bizarrement, lorsqu'il s'agissait de sacrifier une innocente, en l’occurrence, ici, il s'agissait de Sherry, cette dernière m'annonçait que définitivement, il était dangereux de m'accorder sa confiance. « Et tu as mis tout ce temps pour t'en rendre compte ? Tu peux te méfier, il est trop tard désormais, tu es déjà perdue avec moi dans cette forêt. » Je secouais la tête de droite à gauche, comme pour lui montrer que j'étais désolée qu'elle soit tombée dans mon terrible et diabolique piège.


Sherry avait une vie bien plus remplie que la mienne et je l'enviais beaucoup pour cela. Je comprenais parfaitement ce qu'elle disait. Cette idée de ne plus être utile, de se fondre dans la masse, d'être comme tout le monde après avoir sauvé le monde ou après avoir évité une catastrophe était terrible. Certains semblaient bien le vivre et d'autres, comme nous, avions beaucoup plus de mal. Comme si, ce monde n'était vraiment pas fait pour nous. « Je te comprends tellement ! Difficile de sauver le monde ici ! » Et rester dans cette forêt n'allait pas nous aider à trouver comment sauver le monde et de quoi surtout. Plus sérieusement, nous n'avions pas envie de quitter cette forêt si effrayante. Pour ma part, je m'y sentais bien finalement. Loin de la vie quotidienne et de la ville, oubliant un temps cette vie que j'essayais à tout prix de fuir. Sherry n'avait pas non plus envie de partir, elle s'était d'ailleurs allongée pour le montrer. En effet, nous n'étions pas prêtes à quitter cette forêt. Alors je l'avais imité, tout en l'écoutant. « Je ne veux pas te faire de peine, alors on reste encore un peu. » Voilà comment faire passer un acte volontaire pour de la gentillesse. Enfin, dans ce cas là, il était évident que mes mots étaient faits pour plaisanter et n'avaient rien de sérieux. Les suivants l'étaient en revanche. Si nous étions là, au calme, autant en profiter pour poser de vraies questions et discuter. « Pour toujours ? » Avais-je bêtement répété. Ces mots me faisaient peur. L'idée de passer le reste de mes jours dans un monde que je n'aimais pas me faisait peur. Il fallait profiter de la vie et du temps qu'elle nous offrait, c'était compliqué lorsque l'on n'aimait pas ce que l'on était ou faisait. Toutes les bonnes résolutions ne pouvaient pas tout changer et tout ne pouvait pas devenir merveilleux en un jour. A la question de Sherry, j'avais réfléchi une minute. Je ne savais plus très bien, ou plutôt, je me forçais à hésiter, pour me sentir normale, je crois. Une personne qui souhaitait retrouver une vie comme celle que j'avais eu ne pouvait pas être normale, si ? « Sincèrement ? Je crois que oui. Je crois que je ne pourrais jamais m'adapter à cette vie et Aiden me manque tellement. Pas le Aiden de ce monde, mon Aiden. Tout est tellement différent ici... Tu comprends, ça a beau être merveilleux pour beaucoup, ce n'est pas chez nous ici, ce n'est pas notre monde ! » Et on était toujours mieux chez soi, malgré tout. « Pas toi ? »

Cette forêt était-elle réellement maudite ? Envahi par des monstres ? C'était absurde. Impossible. Pas ici. Pas dans ce monde. Les monstres n'existaient pas ici. Un véritable monde de bisounours où les plus méchantes créatures, celles qui pouvaient blesser un homme et parfois lui causer la mort n'était rien de plus que l'homme lui-même. Pourquoi avoir peur d'un homme alors qu'au fond, il est notre égal, peut-être désespéré, peut-être fou, mais il ne doit pas nous effrayer. Face à l'homme, on peut toujours se défendre. Face à une menace comme j'avais pu les connaître par le passé, c'était bien plus compliqué de se sentir son égal, plus compliqué de se dire que l'on allait ressortir vivant de cette bataille. Ici, les monstres n'étaient rien, rien de plus que l'homme. Jodie avait raison, peut-être que mon monde était effrayant, mais justement, c'était mon monde. Jodie avait combattu des entités, elle avait sauvé sa planète, son monde et là, face à une mini-créature, elle avait pris peur et s'était enfuie. Tout ça pour dire que maintenant nous étions perdues dans la forêt, celle que tout le monde craignait pour des raisons tout aussi absurdes que les craintes de Jodie.

« Dans ce cas dès que l'on sort de cette maudite forêt, je vais à la fac faire des études en psychologie. Je ferai une thèse sur ton cas. » Psy, quelle bonne idée. Ce métier était peut-être sublime. Après tout, j'aimais réellement étudier le cas des Holmes. Elle venait d'un monde si différent du mien. Ma réponse était bien évidemment ironique, mais soyons sérieux quelques instants. Je savais très bien que je n'allais pas faire d'étude, ce n'était pas moi.

« J'ai toujours raison, tu sais. » Cette phrase était de nouveau une phrase ironique. Je savais qu'il m'arrivait d'avoir tort et ce n'était pas si rare que ça. « Tu n'avais pas besoin de me le dire, tu sais. Tout ça se lit sur ton visage. On pourrait presque croire que tu portes une pancarte autour du cou avec un message clignotant, disant, je ne suis pas une fille de confiance, il faut me fuir, ne pas me parler, ne pas m'approcher. Je l'avais bien vu en te voyant la première fois, pourtant, je n'ai pas fui. Peut-être que j'aurai dû. Il est trop tard maintenant. » C'était amusant de se moquer de Jodie. Elle n'était pourtant pas à plaindre. Après tout, elle faisait exactement la même chose avec moi. Ce que je disais n'était pas totalement faux. La première fois que Jodie m'avait adressé la parole, je l'avais prise pour une folle. Qu'est-ce que je pouvais bien faire d'autre ? Je venais d'arriver ici. J'étais un peu perdue et je n'avais jamais entendu parler d'entité. Et elle alors que nous ne nous étions jamais vues par le passé me parlait de ça. Au premier abord, j'aurais dû la fuir, pourtant aujourd'hui, c'était bien avec elle que je parlais. Bien avec elle que j'étais perdue dans cette forêt. C'est quand j'ai retrouvé Aiden, que j'ai commencé à vraiment la prendre au sérieux. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais après tout, son histoire devenait de plus en plus concrète. « Jamais. Je n'oublierai pas ce rire, qui n'était pas réel du tout, mais ça prouve bien la folie que tu as en toi. En tout cas, je n'oublierai pas. Je pense que même le monstre qui t'a effrayé tout à l'heure doit rire dans son coin, derrière son petit buisson, tellement tu es effrayante et crédible. » Si j'avais su à l'avance qu'elle allait faire ça, j'aurais enregistré cet instant, pour qu'il reste à jamais gravé. J'aurais pu la faire chanter, ce qui était loin d'être mon genre, mais pourquoi pas, mais surtout, j'aurais pu me moquer d'elle encore un peu. Et évidemment, je n'avais pas pu m'empêcher de lui rappeler ce qu'elle avait fait un peu plus tôt. Ce fameux monstre. Elle n'avait pas fini d'en entendre parler. Elle m'avait fait un cadeau en ayant eu une telle peur, c'était pour moi de quoi l'embêter encore un peu.

« Non, j'en étais déjà pleinement consciente, mais ta mine d'enfant sage et innocente m'a fait douter. À tord je sais. Plus jamais je ne me laisserai prendre par les sentiments. Non plus jamais. Je pense que je vais devoir t'assommer, t'attacher à cet arbre et après t'abandonner ici, seule. Tu ne retrouveras jamais la sortie de cette fichue forêt. Comme ça, jamais tu ne me retrouveras et tu ne seras donc plus un danger pour moi. » C'était plutôt plaisant de discuter avec Jodie, même si nous étions au beau milieu d'une forêt qui avait une réputation effrayante. Je ne pensais pas au début avoir cette amitié avec Jodie. Je ne la pensais pas comme ça non plus, je la voyais beaucoup plus renfermée sur elle-même.

« Il est toujours possible de sauver le monde, même s'il est vrai qu'ici, je ne suis pas vraiment la bienvenue pour ça. » La police était là pour ça dans ce monde et je n'en faisais pas partie. Après tout, j'avais choisi de ne pas le faire. C'était tellement différent.

« Oui pour toujours Jodie. C'est notre nouveau monde ici. » Ces mots raisonnaient dans ma tête. J'avais prononcé ces mots naturellement et ils étaient très certainement réels. Je ne comprenais d'ailleurs toujours pas ce que nous faisons ici. Pourquoi nous ? Pourquoi ce jour ? Pourquoi ici ?

Jodie me parlait d'Aiden, elle l'avait perdu alors qu'il était proche d'elle. Je savais ce qu'elle ressentait, je savais que c'était difficile. De le voir, lui parler et savoir au fond de soi que ce n'était pas réellement lui. Savoir que jamais il ne redeviendrait le Aiden qui avait pendant si longtemps vécu dans sa tête. « C'est étrange non ? Ici, nous sommes protégées, du moins nous ne sommes pas constamment en danger. Pourtant, on ne se plaît pas ici. Tu as raison, ici les gens sont différents. Toi Aiden et moi, je ne trouve plus mes amis, mes connaissances comme avant. C'est tellement différent ici. J'ai presque envie de dire que je déteste cette vie, je déteste ce monde. Mais au fond, je ne sais plus vraiment ce que je veux. Je suis compliquée, je le sais, mais cette situation ne me facilite pas la vie. Cette situation est elle-même compliquée. Mais je suis presque certaine au fond de moi que je veux rentrer chez moi. Dans mon monde. » Nous étions peut-être étranges. Nous avions tant souhaité un monde meilleur, pourtant quand il est là, on le rejette, on veut rentrer chez nous et dire que tout ça n'était qu'un simple cauchemar, que rien n'est réel et que la menace est toujours très présente.

« Bon, Jodie, je ne sais pas ce que tu en penses. Mais je pense que l'on devrait peut-être tenter de sortir d'ici. On pourrait peut-être tenter de trouver la sortie de la forêt et rentrer dans ce que l'on peut qualifier de nos maisons aujourd'hui. » Je pouvais peut-être paraître indécise, mais je ne savais pas combien de temps nous allions devoir marcher pour sortir d'ici. Surtout que si le chemin était long nous allions devoir faire quelques pauses. Le jour pouvait vite tomber et je préférais passer la nuit entre mes draps, plutôt que sur le sol humide de cette forêt.

Spoiler:

« Pourquoi pas ? J'ai l'habitude d'être étudiée, tu verras j'suis un super sujet ! » Je plaisantais, bien sûr. Parce que voir Sherry plaisanter, ça me donnait envie de plaisanter, même sur des sujets pas vraiment drôles dans le fond. J'étais peut-être encore aujourd'hui, même sans une entité qui ne me quittait jamais, un sujet de recherche très intéressant. Après tout, ça devait être intéressant comme cas, quelqu'un qui détestait tant son monde et sa vie et qui, aujourd'hui, malgré la chance qui lui était offerte, regrettait son ancienne horrible vie.

Mon visage, mon expression en disait long sur le fait que Sherry avait toujours raison. Plutôt que répondre, je préférais grimacer, c'était plus parlant. « Vraiment, on peut lire tout ça, juste en me regardant ? C'est fou... » Plaisantais-je. Ce qu'elle pouvait se moquer de moi, c'était terrible. Fallait dire aussi que je m'amusais bien à me moquer d'elle, en retour, donc c'était normal et mérité. « Sérieusement, j'ai un peu honte de ce rire ! » Avais-je avoué. C'était vraiment ridicule. « Je sais, j'entends rire ce monstre ! Si tu tends un peu l'oreille, tu l'entendras toi aussi... J'ai tellement honte. » Bien sûr, je n'étais pas folle au point d'entendre ce monstre imaginaire rire. Non, je disais cela uniquement pour plaisanter. Sherry devait bien le savoir ou alors j'allais vraiment finir internée avant la fin de la journée.

« Franchement, si j'ai le choix, enfin si j'ai mon mot à dire, j'préfère pas être attachée à un arbre et être abandonnée ici, ça ne m'enchante pas plus que ça... Après, j'dis ça, mais tu fais ce que tu veux. Puis, à la limite, j'peux sortir d'ici avec toi et quitter le pays, comme ça, j'suis plus un danger pour toi. » Autant essayer de négocier, non ? Rester dans cette forêt et y mourir, ça ne me donnait pas plus envie que ça. Etrange, non ? Ce qui était le plus étrange, c'était la facilité que nous avions toutes les deux à raconter autant de conneries à la minute. C'était d'ailleurs la seule personne avec laquelle je pouvais faire ça. J'étais plus sérieuse, plus froide avec les gens en général. Rares étaient ceux avec qui je discutais comme ça. Sherry avait cet énorme privilège.

Dans ce monde, pour toujours ? Vraiment ? J'avais beau faire des efforts, plus les jours passés, plus j'étais certaine d'une chose : je n'étais pas prête pour ça. Les mots qu'avaient prononcés Sherry ne faisaient que confirmer ce que je pensais. Jamais je ne pourrais m'y faire, jamais je ne pourrais m'adapter. Tout était trop différent, trop simple et c'était en train de me rendre folle. Pour éviter d'en parler encore, comme toujours, je ne répondais pas à Sherry. Peut-être que, dans le fond, j'attendais une autre réponse de la part de Sherry ? Quelque chose de rassurant pour moi ? Mais ça n'avait pas été le cas.

J'évoquais également Aiden. C'était un sujet que j'évoquais assez peu, voire pas du tout, sauf avec Sherry, encore une fois. C'était la seule à qui je confiais autant de choses. Le Aiden que je connaissais avait disparu, certainement pour toujours. Même si je retrouvais le Aiden avec qui j'avais grandi, l'entité, après avoir gouté à cette vie, il ne serait probablement plus jamais comme avant. Et cette idée était horrible. Je ne pouvais pas la supporter. « C'est juste que ce n'est pas chez nous ici... » C'était comme une sorte de conclusion. Comment pouvions-nous nous sentir bien alors que tout nous était inconnu ?

Je secouais la tête de haut en bas à sa proposition. En effet, il était peut-être temps de trouver comment sortir de cette forêt. « Tu as raison. » Avais-je simplement ajouté, comme pour confirmer une nouvelle fois ses mots. Je me remettais donc debout après avoir avalé un peu d'eau. Elle avait raison, on ignorait pour combien de temps on allait en avoir, il était donc préférable de retrouver notre chemin maintenant. En espérant que cela irait vite.